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[Théâtre] Révolutionner la révolution avec «Le Banquier anarchiste»


Sa rencontre avec «Le Banquier anarchiste», et Pessoa, est survenue «il y a une dizaine d’années», explique Jérôme Varanfrain. (Photo : Patrick Galbats)

Le Banquier anarchiste, brûlot signé Fernando Pessoa, est adapté au théâtre pour la première fois cent ans après sa publication. Une adaptation et une mise en scène de Jérôme Varanfrain, du 25 au 29 janvier à l’Ariston.

Un siècle après sa publication, Le Banquier anarchiste prend vie pour la première fois sur scène. Seul texte que l’écrivain portugais Fernando Pessoa (1888-1935) a publié de son vivant, le récit, brûlot aussi complexe que jubilatoire, expose la théorie de son protagoniste, à savoir que l’on peut être à la fois banquier et «vrai» anarchiste – plus, même, que ceux qui posent des bombes.

Un dialogue sinueux infecté par une rhétorique franchement discutable et une bonne dose de mauvaise foi, mené de bout en bout par un personnage qui entend révolutionner la révolution… et qui finit par embarquer son interlocuteur (et son lecteur) avec lui.

Pour le théâtre, Le Banquier anarchiste a le potentiel d’un véritable «showcase» pour comédiens, avec un texte au contenu très théorique, exposé avec force retours en arrière, contradictions et répétitions, comme on se perdrait dans un labyrinthe.

Pas étonnant, donc, que ce soit l’un des comédiens les plus actifs au Luxembourg qui ait choisi de s’en emparer : pour sa nouvelle mise en scène, Jérôme Varanfrain quitte même son «sweet spot» du TOL pour investir l’Ariston.

«Le titre m’avait beaucoup attiré»

Sa rencontre avec Le Banquier anarchiste – et Pessoa – est survenue «il y a une dizaine d’années», explique-t-il. «Le titre m’avait beaucoup attiré, j’aimais bien le paradoxe. Plus que le contenu du livre, qui, lui, ne m’avait pas chamboulé. Mais, comme certaines œuvres que l’on n’aime pas forcément sur le moment, celle-ci m’est restée en tête.» Puis en creusant dans l’œuvre de l’auteur, Jérôme Varanfrain a trouvé, un peu partout, «des réminiscences de ce banquier».

Un premier signe qui lie le court roman à son futur metteur en scène. Le deuxième ne tardera pas à arriver : «Un jour, un ami metteur en scène me dit qu’il avait écrit une adaptation du Banquier anarchiste pour Jean-Claude Dreyfus, mais dont il n’avait fait que des lectures publiques. Cet ami, en couple avec une Luxembourgeoise, passait beaucoup de temps dans le milieu de la finance au Grand-Duché. Autant dire qu’il se sentait concerné», sourit-il.

20Un texte riche en «riche en répétitions, en parenthèses, en circonvolutions»

Selon Jérôme Varanfrain, cette adaptation, qu’il a utilisée comme base de travail, «était trop complexe pour la scène, pas assez vulgarisée». À lui, donc, de retravailler à partir du texte d’origine, en incluant «les extraits que Pessoa voulait ajouter dans une nouvelle version qu’il n’a jamais écrite».

En français, ces textes sont compilés en appendice de l’édition parue en 2000 chez Christian Bourgois et «ont été salvateurs» pour Jérôme Varanfrain. «On a beaucoup pioché dedans : le personnage est davantage développé, et la vision que l’on a de lui est encore plus contradictoire, donc plus théâtrale.»

Il était impératif, poursuit-il, de «trouver une situation dramatique, même mince» dans ce texte «riche en répétitions, en parenthèses, en circonvolutions» et qui, de prime abord, n’a d’autre préoccupation que de faire de l’explication strictement théorique.

Le travail d’adaptation a donc consisté en «pas mal de montage et énormément de coupes». «Il nous fallait tirer le subtil de l’épais, comprendre l’essentiel de cette œuvre. À commencer par expliquer ce qu’est l’anarchisme selon ce banquier.»

Du restaurant à la salle de sport

Pour le metteur en scène, il était donc nécessaire de «prendre ce texte à bras-le-corps». Une formule qui fait écho au décor de la pièce, que Jérôme Varanfrain a transposé du banal restaurant imaginé par Pessoa à une salle de sport, à l’intérieur d’une grande banque : «C’est un peu l’antre du banquier. Un lieu où le personnage, homme fort de corps et d’esprit – une idée récurrente chez Pessoa –, s’isole. Mais où il peut aussi prendre son interlocuteur en otage, lui qui représente tout ce monde extérieur que le banquier rejette.»

La salle de sport, ajoute Jérôme Varanfrain, est habituellement «un lieu où l’on discute beaucoup… et pas que de protéines et de perte de gras!» Et la passion de Pessoa pour la boxe d’être perçue par le metteur en scène comme un autre heureux hasard…

La particularité du texte de Pessoa est que, bien qu’il se présente sous la forme d’un dialogue, la parole est monopolisée par un seul des deux personnages; l’interlocuteur a pour rôle de pousser le banquier dans ses retranchements et, en pointant ses contradictions, il est le moteur du dialogue et du développement de la pensée du protagoniste.

Opposés physiques

Jérôme Varanfrain aurait-il pu, alors, adapter cette pièce en monologue? «Jamais!», s’exclame-t-il. «La pièce serait devenue une conférence. Et puis, la présence physique de l’interlocuteur débloque quelque chose chez le banquier, qui se sent en confiance avec lui. C’est ce qui l’amène, à un certain point, à se confier sur sa vie.»

De même, il n’a «jamais envisagé jouer dedans», mais avoue garder ses réflexes de comédien dans son approche des personnages et sa manière de diriger ses comédiens, Ali Esmili et Christophe Garcia. «Sans doute que j’ai mis beaucoup de moi dans ce banquier» comme Pessoa l’a fait avant lui, glisse-t-il, avant de tempérer : «Mais j’essaie de lutter contre ça!»

Si l’auteur ne donne aucune indication quant au physique ou à l’âge des personnages, Jérôme Varanfrain, lui, a souhaité souligner le contraste entre les deux protagonistes. «Pour le banquier, j’ai tout de suite pensé à Ali, confie-t-il. Il a une maturité humaine qu’il a héritée de pas mal de choses qu’il a vécues. Christophe, lui, est quelqu’un qui a une formidable écoute. C’est ce que demandait son personnage, qui parle beaucoup moins, et ça fonctionne à merveille!»

Physiquement, la différence fonctionne aussi : le banquier est «très fin et volontaire», quand son interlocuteur est «plus épais et débonnaire», estime le metteur en scène.

«Sur les traces de Pessoa»

Lauréat d’une bourse de Kultur:LX pour travailler sur son adaptation, Jérôme Varanfrain est allé pendant une semaine à Lisbonne, accompagné de ses deux comédiens et de son assistante à la mise en scène, Rita Bento dos Reis – qui avait elle-même créé en 2018, au théâtre d’Esch, une adaptation théâtrale du Livre de l’intranquillité, toujours d’après Pessoa.

Un voyage qui a consisté, pour l’essentiel, à sculpter le texte : «On se dédiait au texte de cinq à six heures par jour, autour d’une table, dans une salle de répétition qu’on nous avait prêtée.» Découpage, élagage, collage… Mais cette semaine à Lisbonne a aussi été l’occasion pour l’équipe de marcher «sur les traces de Pessoa».

«On a rencontré des spécialistes de l’auteur, découvert beaucoup de choses sur sa vie, visité sa maison et le musée qu’elle renferme… Tout cela nous a permis de poser un autre regard sur ce banquier» volontairement enfermé dans «cette extrême solitude qui le met au-dessus des autres». Un épisode décisif qui a permis à l’équipe de cerner le texte et son auteur.

«Si ce banquier peut contribuer à éclairer les esprits»

Cent ans après la publication originale du texte de Fernando Pessoa, Le Banquier anarchiste n’a pas pris une ride. Au contraire : les références que l’auteur fait à la réalité de son époque – à la Russie, à l’exploration des idées de capitalisme, d’anarchisme et de socialisme – trouvent aujourd’hui un écho assez troublant.

«Pessoa a écrit ce texte juste avant le putsch militaire, quand le Portugal avait un gouvernement corrompu, avec des affaires connues de pots-de-vin… Ce n’est pas très loin de ce qu’on vit aujourd’hui! Le Banquier anarchiste continue de nous dire : attention!», médite Jérôme Varanfrain.

Mais dans la conjoncture actuelle, peut-on encore espérer être à la fois banquier et anarchiste? «Si oui, ce ne sera pas pour le meilleur», tranche sans hésiter le metteur en scène. «Si ce banquier peut contribuer à éclairer les esprits, notre rôle est d’apporter au public la fraîcheur de cette pensée. Elle est certes désabusée, mais aussi très clairvoyante et, donc, puissante…»

Première le 25 janvier, à 20 h.
Jusqu’au 29 janvier.
Ariston – Esch-sur-Alzette.

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