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[Théâtre] «La Visite» : est-il si merveilleux d’enfanter ?


(photo DR)

La pièce La Visite place le public devant la détresse d’une femme, tout juste mère, débordée par ses responsabilités et au bord de la crise de nerfs. Un monologue incisif revu au TOL par un jeune duo : Christine Muller et Rosalie Maes.

C’est une rengaine que l’on entend depuis toujours : devenir mère serait le plus beau jour d’une vie, du moins aux yeux des autres qui dispensent (sans qu’on leur demande) les clichés relatifs à l’instinct maternel et aux joies d’être maman. Mais si pour certaines femmes, c’était autre chose, loin du miracle annoncé ? Pas évident, en effet, de garder sa sérénité devant cette étrange chose livrée sans mode d’emploi. Sans compter, dans ce qui devrait être un bonheur parfait, les montées de lait, le manque de sommeil, les cris et les larmes de bébé, le corps déformé, la déprime post-partum et l’extrême solitude.

C’est sur cette idée qu’en 2020, Anne Berest, auteure et scénariste à l’écriture vivante, incisive et introspective (on lui doit notamment la série Mytho sur ARTE) a imaginé la pièce La Visite. Son objectif : tordre le cou aux poncifs qui ont la peau dure et rappeler que le statut de mère n’a rien d’une évidence. Son arme : le monologue à double tranchant, sans filtre, qui remet en question les illusions et idéaux sur la maternité, défiant ainsi les habituelles attentes (de la société, de la famille…). Oui, autant le dire haut et fort, chose à quoi va s’appliquer un jeune duo pour le TOL : la metteuse en scène Christine Muller et la comédienne Rosalie Maes.

Une pièce qui «déculpabilise» les femmes

Le postulat de départ reste toutefois le même : une jeune mère, scientifique de métier et vivant loin de ses racines, reçoit la visite de «cousins» éloignés de son mari. Plutôt agitée, elle attend avec impatience le retour de ce dernier et le réveil du bébé, tant réclamé. Mais comme les deux se font attendre, elle parle, abondamment… Un pur moment de lâcher-prise, un cri du cœur qui déferle dans un flot continu, ce qui conforte Christine Muller, juste trentenaire, dans son choix de faire du théâtre : «C’est une plateforme excellente pour dire et faire entendre les choses difficiles. Car la parole reste le meilleur moyen de les dépasser».

Déjà curieuse de l’intime et de la persistance des non-dits (confère Cocons, son premier texte de 2018), elle est servie avec cette pièce qui correspond à sa «sensibilité». Elle évoque même un «heureux hasard» quand, peu de temps après la proposition du TOL de jouer ce texte, elle tombe sur le livre dans sa bibliothèque préférée à Paris. «On m’a bien cernée!», rigole-t-elle avant d’évoquer, plus sérieuse, le côté «fondamental» de cette œuvre qui, par son «récit alternatif» et rentre-dedans, «déculpabilise» toutes les femmes : celles qui sont mères, celles qui veulent le devenir, celles ne veulent pas et celles qui ne peuvent pas.

La maternité, une affaire «collective»

Pour elle, La Visite s’adresse donc «à tout le monde», d’autant plus vrai qu’il est difficile pour chacun «de traverser la vie sans se poser au moins une fois cette question» de vouloir ou non un enfant. D’où son espoir qu’un tel texte puisse résonner de manière «collective», afin que l’on voie la maternité comme quelque chose qui se porte d’abord à plusieurs. Durant le travail de préparation, Christine Muller a déjà pu constater l’impact de la pièce sur son équipe où tous les cas de figure se présentent : des célibataires qui «ne savent pas», des parents affirmés, et sa comédienne Rosalie Maes, 35 ans et pour le coup entre les deux : elle attend son premier enfant dans trois mois…

C’est un sujet très concret pour moi

«Oui, c’est un sujet très concret pour moi», lâche-t-elle dans un rire, précisant avoir «accepter le rôle avant de tomber enceinte». De quoi avoir quelques tourments, dès demain au TOL, quand il faudra monter sur le plateau et jouer cette femme au bord de la crise de nerfs. Ce qui la fait dire, dans un léger accent allemand (elle est née à Osnabrück), comme pour se rassurer. «Il est important qu’une mère se sente entourée, ne soit pas la seule à s’occuper de l’enfant.» Surtout que la solitude, son personnage la connaît bien : «Elle est dans un pays étranger où elle ne connaît personne. Elle ne sort plus, ne travaille plus. Elle se sent confinée!».

Un monologue «plein de couleurs»

Sur scène, alors, elle se libère, gronde, explose (comme le suggère à propos le biberon aux airs de grenade dégoupillée sur l’affiche). En un mot, elle s’émancipe des injonctions sociales. Rosalie Maes reconnaît s’y identifier, bien que ce soit aussi vrai pour tous les personnages qu’elle incarne, dit-elle : «Ce n’est jamais moi, mais seulement une partie». Et une pièce, poursuit-elle, reste «une vérité parmi d’autres réalités». Celle qui l’occupe ces temps-ci tient moins à un ventre qui gonfle («Quand je joue, je n’y pense pas!») qu’aux exigences d’un métier «toujours difficile». Ce qui s’observe pour elle, avec un «premier monologue», de surcroît en français (qui n’est pas sa langue maternelle).

Un «défi» symbolisé aussi par cette figure à incarner, qui passe par des états contraires. «Elle est pleine de couleurs!», nuance la comédienne pour évoquer cette femme qui, visiblement fatiguée, s’excuse à tout bout de champ, «essaye de faire des blagues» et «d’être une bonne hôte», tout en balançant au nez du public (alors dans le rôle de la famille du mari) des arguments dévastateurs. Une mère qu’on voit flancher, ça pourrait être dramatique, mais l’humour, ici, contrebalance. «C’est un mélange entre comédie et tragédie», reconnaît la metteuse en scène.

Abordant des sujets comme la transformation identitaire, le changement au cœur du couple, la culpabilité (de ne pas se sacrifier suffisamment, professionnellement, émotionnellement et socialement), les sentiments qu’une maman est censée avoir pour son enfant, les compétences présupposées innées, le rôle des autres, La Visite évoque aussi l’éco-anxiété, touchant aujourd’hui les parents de demain, mais n’en fait pas une «fixation». Non, sa vision dépasse les générations et rompt le cordon ombilical avec la figure centrale qu’est la mère. «C’est un sujet collectif et social!», conclut Christine Muller. En attendant le jour où l’on pourra faire des enfants sans grossesse («Ce qui mettrait femme et homme sur un pied d’égalité»), Rosalie Maes avertit son compagnon : «Il faut bien me traiter!» (elle rit). Quant aux autres hommes, «soyez à la hauteur, et à fond!».

La pièce

Une jeune mère reçoit la visite de la famille éloignée de son mari, qui ne devrait pas tarder à rentrer du travail. Seule face à ce public, qui n’est pas venu pour elle, elle se lance dans un monologue sans retenue, balayant des réflexions sur la maternité et le mythe du parfait bonheur découlant du miracle! Plongeant petit à petit dans un délire qui nourrit son argumentation sur l’instinct maternel, elle arrive au bord de l’implosion. Femme perdue face au regard de la société et ne pouvant plus jouer le rôle qu’on attend d’elle…

TOL – Luxembourg. Première : demain à 20 h. Jusqu’au 1er février.

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