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[Théâtre] Des drôles de dames à découvrir au TOL


Colette Kieffer, vieille fille aigrie et délatrice; Catherine Marques, bienheureuse sur sib kute de mort; Véronique Fauconnet, catholique alcoolique... Trois comédiennes pour trois destins de femmes. (Photo : DR/ Ricardo Vaz Palma)

Une alcoolique, une médisante et une mourante… Moulins à paroles d’Alan Bennett raconte, dans la pure veine de l’humour anglais, la solitude et les affres de la vie de trois femmes. Des raccourcis d’existences touchants.

Au départ, l’auteur Alan Bennett fit un tabac à la BBC dans les années 90 en donnant la parole, sketch après sketch, à celles qu’il appelle «têtes parlantes» – Talking Heads est le titre original de ces Moulins à paroles. Une série de monologues croquant, tout en finesse, dans la pure veine de l’humour anglais, le portrait de drôles de dames qui parlent comme on s’enivre, qui racontent que tout va bien, que leur vie est belle, mais qui, au détour d’une phrase, d’un mot, d’un silence, laissent percevoir quelques blessures profondes.

Jérôme Varanfrain, qui s’est emparé de ces textes pour le TOL, a dû, au préalable, faire un choix. «Ils sont tous très bien», confie le metteur en scène qui, finalement, s’est évertué à trouver «une unité» dans ce patchwork. L’âge des personnages – «entre deux âges et autour de la cinquantaine» – sera finalement le fil rouge de ces confessions intimes, pour trois raccourcis d’existences ordinaires prises dans la classe moyenne anglaise d’aujourd’hui («Un lit parmi les lentilles», «Une femme de lettres», «Une femme sans importance»).

Trois femmes porteuses d’une parole qui libère, à commencer par une qui vit son alcoolisme auprès d’un mari pasteur – qui s’est donné pour mission de la sevrer – jouée par Véronique Fauconnet. «Elle vit dans l’ombre des autres. Elle est inintéressante, sans couleur, confie la comédienne. Elle s’est réfugiée dans l’alcool car elle n’a pas su trouver son chemin de vie. Mais elle va faire une rencontre qui va lui faire prendre conscience de beaucoup de choses, notamment sur sa profonde addiction.»

Suit celle, «gratinée» selon la définition de son interprète, Colette Kieffer, qui écrit lettre sur lettre pour se plaindre. De tout, de rien. «C’est une délatrice, capable de protester pour avoir trouvé un cheveu dans une saucisse achetée au supermarché», ou, pire, pour empoisonner la vie de ses voisins. En réalité, «c’est une vieille fille, aigrie, qui vit seule». Et si elle pense rendre service à la société avec ces missives épicées, c’est en prison qu’elle va finalement se sentir «utile». «Elle trouve sa rédemption au contact des autres. Elle se sociabilise», confie-t-elle.

«Ce ne sont pas des battantes !»

Enfin, incarnée par Catherine Marques, la dernière est une secrétaire qui «essaye de se donner de l’importance», et qui raconte les petits conflits qu’elle vit à son bureau. «Elle est très amoureuse de son patron, se sent proche des gens de pouvoir», explique la comédienne. Seulement, voilà, elle est sur le point de mourir… «Elle est touchante. Elle ne se plaint pas même si la maladie la ronge. Elle s’accroche à une espèce de bonne humeur qu’elle partage avec les autres.»

Autant de soliloques, désespérés et attachants, qui mettent en exergue les fêlures et les faux-semblants d’une existence qui ne leur a pas fait de cadeau. Elles pensent tout haut et confessent avec une naïveté désarmante leur vie rétrécie. «Ce sont des récits de trois solitudes très fortes», explique Jérôme Varanfrain, tandis que Véronique Fauconnet, de son côté, parle d’un «besoin d’être aimé». «Elles sont dans une recherche d’absolu qu’elles ne gèrent pas bien, car ce ne sont pas des battantes. On ne leur a jamais donné confiance.»

Vu comme ça, on se dit que cette «peinture de femmes» va faire pleurer dans les chaumières, mais que nenni! La force, ici, réside dans le fait de décrire des choses quasi anodines avec beaucoup de tendresse et ce cynisme, si particuliers à l’humour outre-Manche. «Les auteurs anglo-saxons ont ce talent de faire rire avec des choses déprimantes», précise le metteur en scène, qui, devant ces histoires dynamiques, resserrées, a tenté de «s’inspirer» des «one woman show», en vain, la qualité du texte ne permettant vraiment pas de raccourcis faciles. Véronique Fauconnet acquiesce : «C’est une grande écriture théâtrale différente de celle du café-théâtre. C’est un auteur qui sait à merveille disséquer l’âme humaine.» Ce qui lui fait dire aussi que Moulins à paroles est un manifeste avant tout «humain», et non exclusivement «féminin».

Se succédant à un rythme régulier sur scène, les comédiennes, dans la peau de ces femmes à fleur de peau, passent par toutes les émotions et, au passage, «cassent les codes sociaux et moraux» de manière extrêmement subtile. «Ce sont les actrices qui sont importantes, martèle Jérôme Varanfrain. Elles portent les récits. Elles doivent alors, elles et leurs parcours, être mises en valeur.» Devant un décor blanc, convoquant l’enfance et les chimères, ces trois destins bancals feront sûrement naître des «sourires bienveillants» au public. Une «paisible» détresse humaine contagieuse, car si commune, et expiatoire.

Grégory Cimatti

TOL – Luxembourg.

Demain et vendredi à 20 h 30.

Les 13, 14, 21, 22, 26, 27 et 28 avril, ainsi que les 4, 5, 6, 11 et 12 mai, toujours à 20 h 30.

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