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[Théâtre] Antigone prend un coup de jeune au Centaure


Le metteur en scène Antoine de Saint Phalle s’attaque à Antigone, dans la version «moderne» de Jean Anouilh. Une voix de la résistance et figure anti-système qui, sur scène, résonne de manière particulière parmi la jeune génération.

Antigone, personnage d’importance de la tragédie grecque, a toujours inspiré les auteurs par son courage, ses convictions, ses doutes aussi. Parmi eux, Jean Anouilh qui, en 1944 au cœur d’une France toujours sous Occupation, décide d’en faire un symbole de la résistance. Une femme qui ose dire «non» aux hommes, au roi, au pouvoir, aux lois… Bref, au système tout entier ! Elle place depuis toujours, à sa manière, l’humain face au politique – un refus de tout compromis qui la conduira jusqu’à la mort. Si à l’époque, le metteur en scène reste fidèle à la tragédie de 441 avant Jésus-Christ, il lui apporte une touche de modernité, s’éloignant alors des considérations religieuses et rompant avec les Dieux, si chers à Sophocle.

Une relecture qui, près de huit décennies plus tard, résonne encore parmi la jeune génération. Antigone, porteuse d’espoir et symbole d’une jeunesse engagée? Sûrement. «C’est une pièce fascinante, la première que j’ai lue et ma préférée!», avoue la comédienne Juliette Moro, 21 ans. Le funeste destin de la fille d’Œdipe, bravant les décisions de son oncle Créon, roi de Thèbes, qui refuse dans l’histoire une sépulture à son neveu Polynice, séduit aussi sa partenaire de jeu, Nora Zrika, âgée de 23 ans, qui cherche ici à l’incarner au plus près. «Ce qui me touche, c’est qu’elle ne peut aller à l’encontre de ses convictions. Elle n’a pas d’autres alternatives. Elle aurait pu vivre, choisir une autre issue… Elle ne le fait pas.»

Greta Thunberg, un autre symbole

Oui, Antigone, dans sa détermination farouche à ne pas se trahir, nous projette face à nous-mêmes, nos questionnements, nos idéaux. À sa façon, elle incarne à elle seule les révolutions du monde, et c’est en cela qu’elle est universelle. «C’est un mythe qui perdure!», souffle Antoine de Saint Phalle qui pour sa troisième mise en scène (dont Schnouky), s’attaque à ce qu’il nomme un «gros morceau».

Mais lui non plus n’a pas pu faire autrement que de se confronter à cette pièce, «malgré les difficultés qu’elle représente et le fait qu’elle ait été vue et revue». Sûrement parce que, pour lui aussi, ce personnage est une figure moderne qui résonne avec les crises et préoccupations actuelles (écologie, identité…).

À ses yeux, c’est Greta Thunberg, la jeune militante pour le climat, qui en est la plus proche. «J’ai suivi des manifestations à Berlin, dit-il. Il y a cet aspect non violent qui ressort chez elle. Sans oublier qu’au début, tout comme Antigone, elle ne l’a fait que pour elle-même. Elle était seule avec ses pancartes devant son école…»

Un exemple d’abnégation et d’obstination qu’il serait peut-être bon d’imiter, comme le rappelle Antoine de Saint Phalle, véhément : «On est passé par une crise sanitaire avec de beaux discours, genre « on a compris nos erreurs ». Mais au final, c’est encore pire! Avec les problèmes en Iran, la guerre en Ukraine, beaucoup veulent dire stop. C’est ce que fait Antigone!»

Une figure habitée par la peur et les doutes

Cela dit, les deux jeunes comédiennes, aussi passionnées soient-elles à l’idée de transmettre la bonne parole, ne veulent pas voir ce personnage comme une icône, une puissance inébranlable. «Si elle était forte, sûre d’elle, il n’y aurait pas de pièce!», rigole Juliette Moro. «C’est même le contraire : ce sont ses doutes qui la rendent humaine et qui permettent qu’on se reconnaisse en elle.»

Comme toutes les autres figures de la pièce, elle est en effet habitée par la peur. Le chemin vers la mort n’est jamais une chose facile, et vaciller est chose aisée. Nora Zrika : «Elle le reconnaît et dit « je n’aurai pas le courage éternellement ». Elle sent qu’elle va céder à la raison. Si elle se mettait à trop penser, elle ne l’aurait sûrement pas fait. Elle pourrait se laisser convaincre et mener, par contre, une vie qu’elle ne désirerait pas.»

Un geste impossible pour Antoine de Saint Phalle : «Si elle accepte un compromis, elle va totalement se perdre.» Ce qui pose un principe, essentiel dans la pièce : où commence et s’arrête la liberté individuelle face à l’autorité? En somme, «jusqu’où l’on se met à la place de l’autre et que l’on consent, ou pas, à certaines choses», poursuit le metteur en scène, qui sait que «chacun a ses limites, son marqueur pour dire « maintenant, ce n’est plus possible! »»

Nora Zrika, d’origine marocaine, aimerait par exemple faire taire ce racisme ordinaire qui s’incruste parfois jusqu’au cœur de sa famille. «Mais serais-je prête à briser des liens? Et quelle énergie suis-je capable de mettre là-dedans? Être radicale, ça a un prix!»

Un monde aride, lunaire et sombre

Jusqu’à quel point «souffrir» pour atteindre son objectif, quoi qu’il en coûte, voilà une question qui fait sens «par rapport au militantisme», enchaîne-t-elle. D’ailleurs, Antigone en bave tellement, «qu’à la fin, elle ne sait plus vraiment pourquoi elle le fait». Comme Jean Anouilh qui, dans sa pièce, rappelle que la tragédie a déjà eu lieu, que tout est déjà terminé, Antoine de Saint Phalle espère lui aussi mettre en lumière un monde en train de s’éteindre. Ainsi, les cinq comédiens réunis au Centaure ont avec lui, pour seul décor, un désert aride, lunaire, sombre. «Ça montre que ce qu’elle met en jeu est encore plus vain. Il ne reste plus grand-chose, elle ne défend plus rien. Tout a déjà été en partie détruit.»

Si l’histoire semble se répéter éternellement, il n’empêche que l’idéalisme a encore son mot à dire contre le «réalisme». À l’image d’Antigone, figure d’enfance, face à Créon, symbole de la corruption du monde des adultes, la jeunesse doit continuer le combat et faire avancer la société sur des questions majeures (le patriarcat, la sexualité…), et ce, face à des «dirigeants qui s’obstinent» malgré des solutions «évidentes». «J’aimerais qu’on arrête de chercher les coupables et qu’on commence à agir!», lâche Antoine de Saint Phalle en mode tribun. À ses côtés, les deux comédiennes acquiescent en se promettant d’en faire plus. C’est ce qu’on appelle l’effet Antigone.

La pièce

Thèbes, 2050 : le monde est au bord de l’effondrement. Les ravages de l’espèce humaine sur la Terre sont irréversibles et le peuple est voué à vivre cloîtré derrière les murs de la Cité pour se protéger de la chaleur étouffante. Malgré les crises sociales et politiques qui s’enchaînent, le roi Créon s’accroche aux derniers vestiges d’une ancienne société bâtie sur le patriarcat. C’est dans ce contexte qu’Antigone va braver l’interdit et recouvrir le corps de son frère Polynice, et par ce geste obliger Créon à choisir entre la survie de son monde ou celle de sa nièce…

Centaure – Luxembourg.
Première : le 6 février à 20 h.
Jusqu’au 26 février.

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