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Sarah Baltzinger déconstruit le corps féminin


Pour recréer les «Vénus anatomiques» sur scène, la sculptrice Manuela Benaim a créé des plastrons en silicone portés par les interprètes.

Avec Vénus anatomique, dont la première aura lieu le 5 décembre au Grand Théâtre, la chorégraphe Sarah Baltzinger livre sa pièce la plus engagée, entre absurde et tragique.

Tout commence par une découverte macabre : des corps de femmes grandeur nature, fabriqués en cire à des fins d’études et de dissection du corps féminin. Des «corps en kit», qui présentent le spectacle morbide d’une reproduction à la fois absurde et terriblement réaliste, manipulables de sorte que l’on puisse en découvrir les entrailles.

En découvrant les travaux des sculpteurs italiens Gaetano Zumbo (1656-1701) puis, surtout, Clemente Susini (1754-1814), Sarah Baltzinger est restée «hypnotisée». Ce dernier, en particulier, était reconnu pour ses corps de femmes, dont il aurait créé plus de 2 000 modèles.

Ces «Vénus anatomiques» se présentent ainsi comme des œuvres qui font dialoguer la science avec l’art, le beau avec le morbide; pour la chorégraphe et son équipe, elles sont des «objets réels, palpables, qui comportent plusieurs enjeux du point de vue de nos regards contemporains et militants (…) et également des enjeux de création artistique».

À l’époque des poupées gonflables et des «sex robots» ultraréalistes, ces créations ont résonné avec les questionnements de Sarah Baltzinger. «La « Vénus anatomique » pour parler de la confiscation du corps féminin est un objet incroyablement pertinent», explique-t-elle.

Et esthétiquement fascinant, tant pour la précision de ses détails que pour la façon dont les femmes y étaient «mises en scène, telles des femmes mystifiées, allongées dans des poses lascives», le visage béat, convoquant l’érotisme, la religion et l’horreur tout à la fois.

«Monde d’injonctions»

Leur découverte a eu l’effet d’un choc artistique chez la chorégraphe, qui sentait le désir de créer «quelque chose de nouveau autour du corps féminin» après la première de son précédent spectacle, Rouge est une couleur froide, en décembre 2021, mais dont l’idée est longtemps restée «floue». Sa rencontre avec les «Vénus» s’est présentée comme un signe pour celle qui creuse, depuis Don’t You See It Coming? (2020), la thématique du «corps mécanique et marionnettique».

Avec Vénus anatomique, Sarah Baltzinger considère le corps plus frontalement qu’à l’accoutumée. Dans ses précédentes créations, la danseuse et chorégraphe autodidacte fait du corps un moyen d’expression sensible pour approcher des thèmes de société; dans sa sixième et nouvelle pièce, elle pose un regard sur le corps-objet.

Avec, en ligne de mire, l’envie de «dénoncer la confiscation de nos corps face à la dominance patriarcale». La femme vit dans un «monde d’injonctions», que l’existence même de ces «Vénus anatomiques» a depuis longtemps trahi. Mais, face au «regard critique» que l’on porte aujourd’hui sur ces objets, l’artiste rappelle qu’à leur époque, «c’était une avancée scientifique et sociétale énorme».

Uniformisation du corps féminin

En regard de ses précédentes pièces, Vénus anatomique a tout l’air d’une œuvre somme, un point de convergence où se retrouvent et aboutissent des réflexions entamées par Sarah Baltzinger depuis un certain temps. Celle qui se considère autant artiste que «membre d’un gang» retrouve son équipe habituelle : l’incontournable Guillaume Jullien à la bande sonore, métallique et inconfortable, la dramaturge Amandine Truffy, le régisseur général Thibault Dubourg… Et accueille aussi l’enseignante-chercheuse Alexandra Joly, qui a aidé la chorégraphe à «détricoter l’histoire de l’art» afin de lui permettre d’y faire entrer ses interrogations d’artiste militante.

Sur scène, cinq interprètes – Shaynna Kalis, Chiara Corbetta, Marie Lévénez, Clara Lou Munié et Océane Robin – donnent vie aux corps désincarnés des Vénus, symbolisés par des plastrons en silicone créés par la sculptrice Manuela Benaim, qui se dédie aux reproductions du corps et de l’anatomie humaine.

En donnant l’illusion du nu, la chorégraphe met aussi en exergue la gémellité des corps et leur uniformisation comme élément de réflexion. «La pièce parle de modèles génériques qui ont proliféré de génération en génération», explique celle qui pointe du doigt «le spectacle permanent de leur utilité, de leur fertilité, de leur image et, avant toute chose, de leur corps».

Avec ses danseuses, elle entend «permettre la réappropriation des corps féminins au plateau, faire émerger l’humanité et donner un véritable espace à un militantisme tendre et puissant, celui de la sororité».

La pièce

Cinq femmes sont plongées dans un monde horrifique et absurde, entre étude anatomique et fiction féministe. Sarah Baltzinger invite le spectateur à entrer dans un univers muséal qui dévoile une collection de Vénus anatomiques en cours de préparation, quasi identiques et «presque humaines».

Première le 5 décembre à 20 h. Grand Théâtre – Luxembourg.

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