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Origin : aux racines du mal 


L’actrice Aunjanue Ellis-Taylor mène l’enquête, comme l’a fait Isabel Wilkerson pour son ouvrage phare. 

Première Afro-Américaine à obtenir le Pulitzer, Isabel Wilkerson a enquêté sur les origines du racisme, qu’elle appréhende comme un système plus vaste de castes. Ava DuVernay célèbre l’analyse, comme son auteure.

C’était une évidence : ces deux-là étaient faites pour se rencontrer et mêler leur travail, car chacune à sa manière a fait bouger les lignes, notamment celles de leur communauté. Ainsi, la journaliste Isabel Wilkerson est devenue la première Afro-Américaine à obtenir le prix Pulitzer.

Un succès qui pourrait se résumer à deux livres devenus des références. D’abord The Warmth of Other Suns : The Epic Story of America’s Great Migration (2010), puis Caste : The Origins of Our Discontents (2020), dans lequel elle détricote habilement les origines et l’implantation d’un racisme systémique sur près d’un siècle et sur différents continents.

Un ouvrage qui, sorti quelques mois après le meurtre de George Floyd, restera plusieurs mois sur les listes des best-sellers aux États-Unis. Dans la foulée, il suscitera l’intérêt de la réalisatrice Ava DuVernay.

Celle-ci a aussi plusieurs atouts à faire valoir. À la Biennale de Venise, en septembre dernier, elle a été la première cinéaste afro-américaine en compétition, après s’être déjà distinguée en 2012 à Sundance (prix de la meilleure réalisation pour Middle of Nowhere) et en 2015 aux «blancs» et masculins Golden Globes, où sa nomination pour Selma (film sur le mouvement de lutte pour les droits civiques et au rôle joué par Martin Luther King) a fait beaucoup parler.

Ici, avec Origin, elle s’attaque à un autre gros morceau et à un sujet toujours sensible : mettre en image la thèse d’Isabel Wilkerson, qui se penche sur les racines du racisme en explorant aussi bien la ségrégation raciale aux États-Unis que la politique antisémite du régime nazi et le système des castes en Inde. «J’ai été fascinée par ses idées», dit-elle.

De l’Histoire et de l’intime

Elle qui avait réalisé un documentaire sur l’incarcération de masse des Noirs aux États-Unis (The 13th) aurait pu, une nouvelle fois, succomber à l’appel du reportage didactique, mais finalement, Ava DuVernay choisira la fiction, façon récit d’enquête. Dans ce sens, un seul livre, aussi conséquent soit-il, ne suffisait pas pour satisfaire la forme choisie.

Elle a alors décidé de développer son récit à travers une double «adaptation» : pour moitié, celle du livre, et pour l’autre, la vie de la journaliste qui, dans le film, raconte «vouloir être au cœur de l’histoire». Elle est servie! «Tout ce que l’on voit, c’est elle qui me l’a raconté», précise la réalisatrice.

Origin suit ainsi de près l’investigation d’Isabel Wilkerson, interprétée par l’actrice Aunjanue Ellis-Taylor (King Richard), qui la mène de Berlin à New Delhi jusqu’aux cercles intellectuels américains.

Un saut géographique auquel se mêle un autre, temporel, avec des bonds dans le passé, récents (le meurtre du jeune Trayvon Martin en 2012) comme lointains (les autodafés de 1933 en Allemagne). Il y a donc des moments d’Histoire : l’examen sociologique des deux anthropologues noirs Allison Davis et Mary R. Gardner dans le «Sud profond» (qui aboutira au livre Deep South en 1941), ou l’influence majeure des lois raciales «Jim Crow» (promulguées aux États-Unis en 1877) sur celles antisémites du IIIe Reich.

Il y a donc aussi des moments plus intimes : l’amour profond que voue Isabel Wilkerson pour son mari Brett (joué par Jon Bernthal), sa mère Ruby (Emily Yancy), sa cousine Marion (Niecy Nash), et tous les drames qui en découlent (avec musique larmoyante à l’appui).

Huit piliers pour soumettre

Derrière l’aspect biographique trop mélodramatique, c’est surtout la démonstration théorique qui bouscule. Le postulat de départ, simplifié ici pour une meilleure compréhension, est clair : peut-on parler de racisme quand des nazis (blancs) s’en prennent à des Juifs (tout aussi blancs)?

Idem en Inde pour les Dalits (appelés encore Intouchables), parias pourtant de la même couleur que les Brahmanes, considérés comme traditionnellement supérieurs. Sur ce terreau, la journaliste tire sur les fils et arrive à la conclusion que toute cette discrimination tient à un système plus vaste de castes, basé sur huit piliers comme l’endogamie, la hiérarchie ou encore la stigmatisation. Au bout, faire accepter qu’un groupe de personnes, à la supériorité supposée innée, a plus de pouvoir et de liberté que d’autres. Avec toutes les conséquences que cela implique.

Le rappel d’une démonstration d’autant plus louable à l’heure où les appels de l’extrême droite trouvent de plus en plus d’échos dans nos sociétés fragilisées. Après les tragédies de l’esclavage, de la ségrégation et de l’Holocauste, «la question est de savoir comment allons-nous créer un nouvel avenir?», affirme d’ailleurs Ava DuVernay.

«Tout un chacun peut devenir cet individu qui va à contre-courant», espère la cinéaste de 51 ans, qui précise : «Quand on est un artiste, on a la responsabilité de créer un monde qui n’existe pas!». En face, planant telle une menace, la phase de Primo Levi, rescapé d’Auschwitz : «C’est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau : tel est le noyau de ce que nous avons à dire».

Origin, d’Ava DuVernay.

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