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Oncle Vania (Tchekhov) au Centaure : autopsie de l’intime


Francesco Mormino (oncle Vania) et Larisa Faber (Éléna Andréevna) font partie de la généreuse distribution – huit comédiens – concoctée par Myriam Muller. (photo Julien Becker)

Myriam Muller, qui a déjà joué dans quatre pièces de Tchekhov, passe de «l’autre côté du miroir» en mettant en scène Oncle Vania, pour lequel elle réunit au Centaure une véritable petite «famille».

Dans ce texte crépusculaire,Tchekhov reste au plus près des thèmes qui lui sont chers: le temps qui passe et le sens de la vie, à travers son lot de désillusions et frustrations.

Pas de balançoire – chère à Tchekhov – ni même la moindre touffe herbeuse d’un jardin bourgeois. Tout au plus un « long banc », où les personnages se tiennent en équilibre, « comme des oiseaux ». Pour sa première mise en scène chez elle, en tant que directrice du Centaure, Myriam Muller s’est orientée vers l’épure, l’intimiste, l’abstrait, invitant le public à une réunion familiale « au plus près des protagonistes » dans une pièce volontairement raccourcie, histoire d’en dégager l’essence même. « Je voulais vraiment quelque chose d’énergique .»

Pour la comédienne, récemment saluée pour sa version moderne et réussie de Dom Juan , Tchekhov n’est plus un mystère, mais, au contraire, une valeur sûre vers laquelle elle se tourne régulièrement. D’abord sur scène où elle a déjà joué dans quatre de ses pièces ( Oncle Vania , La Mouette , La Cerisaie et Ce n’est que pour rire , un ensemble de courtes pièces). Aujourd’hui, elle est de « l’autre côté du miroir », tout excitée à l’idée de s’emparer d’une pièce chorale, format qu’elle aime par-dessus tout. « Avec Tchekhov, il n’y a pas de rôle principal : il met sur un pied d’égalité tous les personnages .»

Une généreuse distribution – pas moins de huit comédiens réunis au cœur du petit théâtre – qu’elle compare à un « orchestre de chambre » idéalisé où « chaque instrument – jusqu’ au triangle – aura la même place que le premier violon ». Une horizontalité qui implique de réussir à créer des liens forts, justement, entre les interprètes. « Le plus grand défi » pour cet Oncle Vania . « Tchekhov raconte l’histoire de gens qui se connaissent depuis des années, alors que les acteurs, eux, se rencontrent parfois au moment de la signature des contrats! »

Comme «dans un film de Claude Sautet»

Mais les répétitions aidant, Myriam Muller arrive tout doucement à ses fins, il est vrai aidée par un casting bien senti. « Il fallait aussi une certaine ressemblance entre les membres de cette famille, et quand on regarde Sonia, sa mère Maria et Vania (NDLR : interprétés respectivement par Renelde Pierlot, Josiane Peiffer et Francesco Mormino), il y a de quoi être bluffé! » C’est avec eux, et le reste de la troupe, que l’on (re)découvre l’histoire de cette famille recomposée qui, par un après-midi d’été, va se déchirer face aux désirs et déceptions de chacun.

Accompagné d’Élena, sa seconde et jeune épouse, le professeur Sérébriakov, à court d’argent, veut se retirer à la campagne où sa fille Sonia et l’oncle Vania exploitent, tant bien que mal, le domaine familial. Oncle Vania et le docteur Astrov sont subjugués par Éléna. Le drame, jusqu’alors latent, éclate lorsque le professeur propose de vendre la propriété. Se croisent et se toisent alors les destins des personnages suspendus entre l’illusion de leurs désirs et la solitude de leurs existences.

Tchekhov peint ici un microcosme familial étouffant, portrait en creux d’une bourgeoisie mi-campagnarde, mi-intellectuelle en train de sombrer, avec ces « histoires d’amour sans espoir, ces histoires d’amitié sans pitié. La vie qu’on dit ratée. Et cet écart entre ce que l’on croit être, ou pouvoir devenir, et ce que l’on est, à la fin. » Bref, avec Oncle Vania , on est en pleine « crise existentielle » avec des questionnements sur le temps qui passe, sans but, ni sens auquel s’accrocher. « C’est une pièce sur le vieillissement et sur ce sentiment de ne pas se sentir à la place à laquelle on devrait être », explique la metteur en scène, qui poursuit, défendant l’aspect captivant et « actif » de l’œuvre de son mentor. « Pour certains, Tchekhov, ce sont des personnages qui boivent du thé dans un jardin et qui palabrent… Mais ses pièces ne sont pas ennuyeuses! » Car pour elle, la notion de résistance est essentielle.

« Avant la résignation mentale ou physique, ces hommes et femmes luttent activement! Au bord de l’abîme, maladroitement, pour eux et contre les autres, pour les autres et contre eux-mêmes, ils luttent. C’est cette confrontation qui fait le sublime des pièces de Tchekhov et non le cliché de personnages baillant et pleurant sur leur pauvre petite vie .» Ainsi, comme dans un dernier sursaut pour combattre la peur de ne pas vivre vraiment, les personnages tentent d’aimer, de haïr, de tuer. Ce déferlement d’humanité, au raz du gazon, comme « dans un film de Claude Sautet », Myriam Muller les distille au public « au plus près des émotions des comédiens ». Car ne soyons pas naïfs : ces personnages, jetés là, sont tout autant prisonniers que nous de ce jeu faussé qu’est la vie. Sans la moindre règle sur laquelle s’appuyer… et se rassurer.

Grégory Cimatti

Oncle Vania, au Théâtre du Centaure – Luxembourg. Samedi 28 novembre à 20 h. Dimanche 29 novembre à 18 h 30. Les 4, 5, 9 et 11 décembre à 20 h. Les 6 et 10 décembre à 18 h 30. Les 6 et 9 janvier à 20 h. Les 7 et 10 janvier à 18 h 30.

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