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Musique : le plein de Sault


(photo DR)

L’énigmatique collectif anglais Sault a sorti cinq albums début novembre : la nouvelle surprise d’un groupe qui se pose en modèle de liberté créative, bien décidé à jouer selon ses propres règles.

La première surprise remonte au mois d’avril : sans prévenir, Sault balançait sur les plateformes de streaming son cinquième album, Air, à contre-courant de la neo-soul et de la funk que le groupe portait jusqu’alors à bout de bras, et le poing levé. Comme un signe qu’il ne faut rien tenir pour acquis – surtout pas de la part d’un groupe qui est lui-même un mystère –, Air, un album majoritairement orchestral et à l’aura presque religieuse, avait de quoi surprendre.

 

Là où d’aucuns pouvaient y voir un changement de direction un peu pompeux, et effectivement aux antipodes de leur son brut et sans lien évident avec leur démarche militante, d’autres devinaient un détour ponctuel, sinon éphémère, par un projet autrement ambitieux, comme une preuve que Sault ne craint pas de se lancer corps et âme dans la réalisation de ses visions de grandeur. Son dernier coup d’éclat, la sortie simultanée de cinq albums gratuits, en est une preuve supplémentaire. Une chose reste sûre : dans le domaine de la musique, Sault reste le meilleur synonyme du mot imprévisible.

Ce qui est dû, sans aucun doute, au caractère énigmatique du collectif : depuis leur arrivée en 2019, avec les albums 5 (en mai) et 7 (en septembre), Sault, dont on sait que le point d’ancrage est Londres, refuse catégoriquement toute interview et n’est jamais apparu en public, ni même sur scène. Dans une époque saturée d’informations, où tout doit se savoir – si possible très vite –, le groupe compte sur sa musique comme seul moyen de séduction.

Et s’ils sont avares en mots, ils sont largement généreux en musique, ayant offert au monde leurs six premiers albums en l’espace de trois ans à peine. Sans compter qu’Inflo, tête pensante du groupe, officie aussi comme producteur de Little Simz, Michael Kiwanuka et, plus récemment, d’Adele, tandis que l’une des principales voix de Sault, Cleo Sol, a entrepris une carrière solo avec deux sublimes albums. C’est à se demander quand ces gens trouvent le temps de dormir…

Cinq albums, ou 56 morceaux, mis à disposition comme une « offrande à Dieu »

Le peu que l’on sait, finalement, est déjà beaucoup, à propos de ce groupe aussi prolifique qu’inventif, dont les racines, à trouver dans la musique noire, est le terreau d’une discographie qui se déploie comme un grand manifeste traduisant les grandes idées et la réalité du terrain de l’époque Black Lives Matter. Après s’être élevé dans les cieux avec Air, Sault redescend sur terre en faisant d’une pierre cinq coups.

Soit autant de nouveaux albums mis à disposition comme «une offrande à Dieu», tel que l’avait précisé le groupe dans un post Instagram. Et téléchargeables gratuitement pendant cinq jours, à condition que l’on trouve le mot de passe – «godislove» – qui déverrouillait le lien WeTransfer vers lequel renvoyait le site internet de Sault. Et à peine avait-on imaginé, à la disparition des albums, que ces 56 nouveaux morceaux allaient être perdus à jamais, qu’ils ont réapparu sur les plateformes de streaming. Pour un groupe qui revendique son opposition au système, cette opération rappelle les provocations d’un certain Prince…

S’il est impossible de coller une étiquette à un album de Sault, il est clair que le panorama qui est donné à voir sur ces cinq disques fait s’entrechoquer une multitude de genres. On peut commencer par 11, l’album le plus pop du lot, dans lequel leur groove minimaliste, issu d’une fusion de jazz, de soul, de blues et de hip-hop, prend une dimension aérienne. Depuis la ligne de basse très léchée de Glory jusqu’au jeu de batterie «lounge» de The Circle, en passant par Fear No One, répété comme un mantra sur fond de soul très «seventies» par un Anderson .Paak qui passait par là, ou Higher, sorti trop tard pour être le tube de l’été, 11 fait jouer Sault du côté grand public de la cour, avec une qualité d’exécution toujours indiscutable.

C’est encore le cas avec Untitled (God) – qui, comme 11, continue un aspect thématique de leur discographie –, lui aussi dédié tout entier à chanter l’amour comme acte spirituel. Cette fois, on vogue entre le gospel, le R’n’B, la folk, la bossa nova, le «spoken word» et d’autres styles encore, pour un monument qui s’étale sur près d’une heure quinze et qui, bien que certains aspects du disque sont plus réussis que d’autres, semble ne jamais s’essouffler.

Avec le minialbum Aiir, Sault retourne dans la cathédrale musicale qu’était Air et érige son annexe : toujours grandiose, mieux marquée par ses références – pêle-mêle, Aaron Copland, Philip Glass ou encore Ennio Morricone –, cette suite s’apprécie plus encore que son prédécesseur par sa courte durée (25 minutes), qui rend la richesse du contenu moins tétanisante. Si une œuvre parmi les cinq doit désarçonner, ce sera forcément Earth, album-concept quasiment muet, lui aussi, mais riche en collages et en expérimentations sonores. On pense à The Secret Life of Plants de Stevie Wonder, autre album expérimental dédié à la nature, mais avec une radicalité autrement plus extrême.

La véritable surprise réside dans Today & Tomorrow, énorme pépite aux accents punk qui redéfinit le groove de Sault : riche en guitares incisives, en refrains criés et en chœurs saturés, le plus direct et minimaliste de ces cinq albums prouve que le côté punk du groupe ne se cache pas que dans leur attitude. Et finit d’affirmer que Sault ne joue que selon leurs propres règles. En deux mots : à prendre ou à laisser. Dans un cas comme dans l’autre, Sault n’en tiendra pas rigueur.

Untitled (God), 11, Aiir, Earth et Today & Tomorrow, de Sault.

 

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