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Marcel Bascoulard, clochard céleste


Autodidacte «doté d’un talent miraculeux» pour certains, il dessine sa ville, ses rues, ses bâtiments, ses monuments. C’est de l’illustration sur le vif, réaliste, systématique, follement instantanée. (Photo : dr)

Traversant le XXe siècle, il fut clochard magnifique, voyageur immobile. Son point d’ancrage ? Bourges, préfecture du Cher en cœur de France. Là, les ancien(ne)s se souviennent de cet individu qui déambulait dans les rues de la cité, un carton à dessin sous le bras, souvent accompagné de ses chiens.

Marcel Bascoulard est né dans un village, non loin de Bourges, en février 1913. Il a 19 ans quand, le dimanche 25 septembre 1932, sa vie bascule.

Un témoin raconte : «Tout de suite après le repas de midi, alors que le brave homme lisait paisiblement son journal, sa femme, froidement, lui a tiré un coup de revolver dans le dos.

André Thomas, un voisin qui se trouvait dans la cour à ce moment-là, a vu le pauvre homme ouvrir la porte et s’écrouler… mort. Derrière, sa femme est sortie, le revolver encore à la main, suivie de son fils qui frappait dans ses mains en s’écriant heureux, semble-t-il : « Elle l’a tué le vieux, elle l’a tué ! »».

Un homme de peu, parmi les gens de peu

Sur ce dernier point, d’autres versions divergent mais voisins et proches, tous sont unanimes : pour Marcel Bascoulard, le fils en question, «cette mère était de toute évidence l’objet de la plus terrible des affections». Une mère qui dira : «La vie avec mon mari était devenue impossible», et finira sa vie en hôpital psychiatrique, une mère que le fils visitera régulièrement.

En ces temps-ci, le passant de Bourges revient en librairie. Avec la réédition de Marcel Bascoulard, dessinateur virtuose, clochard magnifique, femme inventée, très épais et très beau livre avec un texte de Patrick Martinat, des photos et des reproductions d’œuvres.

Et également dix-neuf lettres inédites. Pendant plus de quarante ans, Marcel Bascoulard a cheminé au hasard des rues de la préfecture berruyère, on le croisait souvent rue Mirebeau, il liait conversation et offrait un dessin à qui lui donnait quelques pièces de monnaie. Un homme de peu, parmi les gens de peu.

J’emmerde la société

Mascotte et artiste maudit. Autodidacte «doté d’un talent miraculeux» pour certains, il dessine sa ville, ses rues, ses bâtiments, ses monuments. C’est de l’illustration sur le vif, réaliste, systématique, follement instantanée.

Jeune homme, sur l’invitation d’un mécène local, il fit un voyage à Paris à l’occasion de l’«Exposition internationale des arts et techniques», où sont alors montrés quelques-uns de ses dessins grâce à l’architecte Marcel Pinon, enseignant aux Beaux-Arts de Bourges, qui l’a repéré. Dans une lettre, Bascoulard évoque son séjour à Paris, «la Ville lumière toutefois fort ténébreuse».

Retour à Bourges. Très vite, il glisse dans la marge. Devient clochard. Il est admiré et réprouvé. Asocial et excentrique. Ainsi, dans les rues de la préfecture du Cher, on le croise adossé à un mur ou accroupi devant une porte, surtout dans le quartier d’Avaricum, centre historique gallo-romain en décrépitude. Il est habillé en femme. Parfois, à des passant(e)s, il lui arrive d’évoquer des «chagrins de famille». Sans en dire plus.

Une vie aussi romanesque que tragique

Rapportée par Patrick Martinat dans son livre, la sociologue de l’art Isabelle Papieau avance une explication : «Il a pu se trouver dans une démarche non seulement d’identification à la mère, mais aussi de désappropriation d’une culture de la famille qui passe inévitablement par le décor, le cadre domestique d’un intérieur dont il refusa l’idée».

Un jour de 1942, il se balade rue Bourbonnoux, il porte une robe rose à crinoline – une de celles qu’il a dessinées et faites confectionner par des couturières amies après avoir choisi méticuleusement le tissu. Dans le dos, il porte un écriteau sur lequel on lit : «J’emmerde la société».

Souvent, pendant la Seconde Guerre mondiale, il sera interpellé par l’occupant allemand. Ensuite, dans les années d’après-guerre, par la police locale. L’objet de son méfait? «Indécence». Et c’est ainsi que, mort assassiné le 12 janvier 1978 après s’être vanté d’être «multimillionnaire», Marcel Bascoulard s’est offert une vie aussi romanesque que tragique.

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