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[Littérature] L’Amérique hantée de Stephen King


Loin des monstres et des histoires surnaturelles qu’affectionne tant Stephen King, Billy Summers est un roman imposant mais tendre sur une Amérique oubliée. (Photo : shane leonard)

Roi de l’horreur et du best-seller, Stephen King est de retour avec Billy Summers. Un impeccable texte sur «un type bien qui fait un sale boulot» avec, pour toile de fond, la guerre et l’Amérique des petites villes…

Ce pourrait être un discours de la méthode. On demande la genèse de son nouveau roman, l’auteur répond : «En premier, j’ai eu une vision : j’ai vu un homme dans un appartement en sous-sol, il regarde par la fenêtre qui ressemble à un périscope et il voit des pieds marcher sur le trottoir…» Dans le roman, il fait dire à un personnage : «Saviez-vous que vous pouviez vous asseoir devant un écran ou un bloc de papier et changer le monde?» L’auteur a 75 ans, n’a écrit que des best-sellers (soixante!), il est américain et s’appelle Stephen King. Le roi du thriller et de l’horreur revient avec Billy Summers, un roman qui ne contient ni thriller ni horreur. Juste une fiction. Mais de la bonne, de la très bonne, même, avec suspense, récit de guerre, road trip et déclaration d’amour à l’Amérique des petites villes!

«Le meilleur livre de King depuis des années», prévenait la presse américaine. Et dans cet objet bien épais (562 pages), voilà «l’histoire d’un type bien… qui fait un sale boulot». On y ajoute les paroles d’Amazing Grace : «J’étais égaré, mais j’ai retrouvé mon chemin.» Tout simplement la vie et le destin de Billy Summers… Son job : tueur à gages, mais qui ne dézingue que les salauds. Il vient d’accepter une dernière mission à deux millions de dollars – 500 000 en acompte, le reste lorsque l’affaire sera bouclée. Le jeu en vaut grandement la chandelle, a-t-il pensé…

Fan de Zola

Ce jour-là, il est seul dans sa chambre, il se prépare, lui qu’on tient pour le meilleur tueur à gages de la profession. On va apprendre qu’il a 44 ans, qu’il a fait la guerre d’Irak et qu’il a des principes. Il s’est fixé une règle : n’accepter des «contrats» que s’il faut éliminer de vrais méchants, de ces types qui ont commis meurtres d’enfants ou viols de mineures. On va aussi apprendre qu’il lit beaucoup, de «vrais livres» et aussi des BD, et qu’il vénère Émile Zola, «version cauchemardesque de Charles Dickens», chez qui il prend ses leçons de vie. Dans son sac, toujours un exemplaire de Thérèse Raquin, «un mélange de James M. Cain et des BD d’horreur des années 1950»…

La cible de ce contrat, le dernier qu’accepte Billy Summers? Joel Allen, assassin d’un ado de 15 ans et un de ses ex-collègues, doit passer devant le tribunal de Red Bluff, petite ville de l’est du Mississippi. Problème : l’histoire est autrement  plus compliquée qu’il n’y paraît, puisque personne ne connaît la date exacte de l’arrivée du criminel. On suppute : peut-être dans six semaines… peut-être dans six mois… allez savoir. Alors, Billy va se glisser dans le petit monde de la ville. Il a même une couverture que lui ont fabriquée les commanditaires du contrat : il s’appelle David Lockridge et est écrivain. Ça tombe bien, et ça plaît beaucoup à Billy Summers, lui qui a toujours un livre à la main et a toujours souhaité écrire.

Héros, meurtrier et artiste

C’est là que surgissent le talent et le génie de Stephen King : bien sûr, l’auteur nous narre l’histoire du contrat, mais il y glisse une autre histoire, celle de Billy consignant sous la forme d’un roman ses souvenirs, intimes, traumatiques ou militaires et tout ce qu’il a vécu depuis ce jour d’horreur où il a été témoin du meurtre de sa petite sœur… Un roman dans le roman, donc, avec un héros, meurtrier et artiste. Un héros qui flotte entre le mal et le bien. Entre une arme à feu et la Bible dans une Amérique au drapeau ensanglanté, toujours hantée par le spectre des guerres au Vietnam et en Irak, toujours persuadée que le reste du monde lui pardonne de sacrifier tant et tant au nom et la gloire du billet vert, du «saint Dollar»…

Écrit pendant la présidence de Donald Trump, Billy Summers n’est pas seulement un roman sur un «gentil» tueur. C’est aussi, enveloppé de montagnes de tendresse, un texte sur une Amérique oubliée et qui communique un amour immense de la littérature. C’est certain : Stephen King sera toujours le roi!

Billy Summers, de Stephen King.

Les «plus» du King

Passionné de baseball, de moto et de musique, Stephen King a publié son premier livre, Carrie, en 1974. Soixante romans et 12 recueils de nouvelles plus tard (sans compter sept romans signés sous le pseudonyme de Richard Bachman), voici les quatre livres «plus» de Stephen King… Et, aussi, son préféré.

Le plus connu : Shining (1977)

Le troisième roman du «King». Homme instruit mais colérique, Jack Torrance tente de reconstruire sa vie et celle de sa famille après la perte de son emploi d’enseignant due à un élan de violence. Il arrête de boire, accepte un emploi de gardien dans un grand hôtel isolé dans les montagnes et fermé l’hiver, y emménage avec sa femme, Wendy, et leur fils, Danny. Celui-ci possède le «shining» et est sensible aux forces surnaturelles. Le jour de son arrivée à l’hôtel, Danny fait la connaissance du cuisinier de l’hôtel, qui possède le même don et qui le met en garde contre les dangers de l’hôtel, doté d’une conscience et possédé par des esprits…

Le plus terrifiant : Misery (1987)

Écrivain de best-sellers devenu riche et célèbre avec les aventures de Misery Chastain, une héroïne romantique, Paul Sheldon décide de la faire mourir pour se consacrer à d’autres histoires, qu’il juge plus sérieuses. Il a achevé un nouveau roman, d’un tout autre genre, dans un hôtel du Colorado, mais en partant, pris dans une tempête de neige, il est victime d’un grave accident de voiture. Les deux jambes cassées, il est sauvé par une ancienne infirmière, Annie Wilkes, qui l’emmène dans sa maison toute proche plutôt qu’à l’hôpital. Elle soigne Paul, qui a été inconscient et entre la vie et la mort pendant plusieurs jours, et lui dit être sa plus fervente admiratrice, mais celui-ci remarque rapidement que le comportement d’Annie n’est pas normal et qu’elle souffre de troubles mentaux.

Le plus mauvais : La Tour sombre (1982-2012)

Une série romanesque en huit volumes publiée sur une période de trente ans. Encore étudiant à l’université du Maine, Stephen King a 22 ans quand il commence l’écriture du premier volume, Le Pistolero. Avec cette série qu’il qualifiera de «Jupiter du système solaire de (s)on imagination», le romancier a tenté le grand amalgame de la fantasy, de l’horreur, de la science-fiction et du western métaphysique… sans véritablement y parvenir. Tout commence avec Roland, le dernier pistolero de Gilead – contrée imaginaire qui rappelle le Far West –, lancé à la poursuite d’un mystérieux homme en noir, puis parti à la conquête de la Tour sombre, endroit fabuleux censé être le pivot de tous les mondes possibles. Une série pour une mauvaise imitation des romans de Tolkien.

Le plus réussi : Ça (1986)

Un «must» du roman d’horreur qui raconte la lutte entre sept enfants terrorisés devenus adultes et une entité maléfique connue sous le nom de «Ça», qui prend la forme des peurs les plus profondes, mais se présente principalement sous la forme d’un clown maléfique. La force du roman tient à sa forme non linéaire, alternant deux périodes de temps différentes, les différentes perspectives et les histoires des personnages principaux. Le travail sur l’enfance entamé dans plusieurs précédents romans du «King» est ici magnifié.

Son livre préféré : Sa Majesté des mouches, de William Golding (1954)

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, un avion s’écrase sur une île déserte. Seuls survivants : quinze enfants anglais issus de la haute société. Livrés à eux-mêmes dans une nature sauvage et paradisiaque, ils s’organisent en reproduisant les schémas sociaux qui leur ont été inculqués. Vite, le vernis craque, la fragile société vole en éclats et laisse peu à peu la place à une organisation tribale, sauvage et violente, bâtie autour d’une religion rudimentaire et d’un chef charismatique nommé Jack. Offrandes sacrificielles, chasse à l’homme, guerres sanglantes : la civilisation disparaît au profit d’un retour à un état proche de l’animal, que les plus fragiles ou les plus raisonnables paient de leur existence.

S. B.

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