De toujours, il est passionné pour la numismatique. Il est également attentif aux mots.
Ainsi, J. M. G. Le Clézio, 82 ans et Nobel de littérature 2008, apprécie tout spécialement le mot «avers» – venant du latin «adversus» (ennemi, hostile) et désignant le côté face d’une pièce. Récemment, il précisait : «L’avers, c’est l’identité, là où réside l’effigie. Il n’y a pas grand-chose sur le revers, si ce n’est la valeur faciale de la monnaie. L’avers est plus intéressant!».
L’auteur, qu’on a découvert avec Le Procès-verbal (prix Renaudot en 1963), raconte qu’il voulait depuis longtemps écrire un roman où figurerait une pièce de monnaie. Il a commencé la rédaction, a laissé tomber pour se lancer dans l’écriture de nouvelles. C’est donc Avers, un recueil de huit nouvelles. Sur la couverture, est ajouté un sous-titre : «Des nouvelles des indésirables». Un livre-hommage aux «gens de peu», selon la terminologie du sociologue Pierre Sansot.
«Depuis toujours, elle écoutait le bruit de la mer sur les brisants. À la baie Malgache, les vagues sont très proches, elles s’allongent sur les cailloux noirs si près l’une de l’autre que ça fait un seul fracas doux, sans respiration, un bruit de moteur. Comme le moteur de la pirogue de son père…», lit-on en ouverture. On est avec une jeune fille nommée Maureez Samson, en fuite sur l’île Rodrigues. Son père a disparu en mer; il a pêché un crabe et lui a laissé, pour seule richesse, la pièce que le crustacé tenait entre ses pinces.
Elle fuit sa belle-mère qui la bat, le compagnon de celle-ci qui l’abuse sexuellement, file dans la montagne, se retrouve dans une institution religieuse, chante dans les églises, le public des fidèles est en transe à l’écoute de cette voix interprétant le blues des esclaves… «La musique, pour elle, ce n’était pas un récital, ni même une chorale. Pas une offrande non plus, à qui pouvait-elle offrir quelque chose? C’était une façon d’être loin, d’oublier les mauvais moments de sa vie, de se libérer.»
Cette fille a existé, Le Clézio l’a rencontrée lors d’une visite à Rodrigues où il a passé une partie de son enfance. Souvenir : «Elle avait une voix merveilleuse et chantait des negro spirituals. En particulier un chant sublime créé par Harriet Tubman qui a guidé les enfants fugitifs à l’époque de l’esclavage aux États-Unis. Ce chant leur disait : « Ne marchez pas sur le sentier, marchez dans l’eau parce que les chiens nous suivent. Et si on marche dans l’eau, les chiens ne nous trouveront pas ».»
Se glissant dans les pas du voyageur J. M. G. Le Clézio, on se retrouve, à la lecture des autres nouvelles d’Avers dont nombre sont bercées par la langue créole («avec des accents, qui martèle, qui entre dans l’esprit», confie l’écrivain), entre la Palestine et le Liban. Dans la forêt, également, de Panama avec des narcotrafiquants… Des enfants en fuite, des migrants, des errants dans des guerres, des passants de frontières… C’est à travers leurs yeux, ici, qu’on voit le monde. Ce monde des invisibles que l’auteur sait, comme nul autre, rendre visibles.
L’écriture est avant tout un moyen d’agir
Sur la quatrième de couverture, une déclaration d’intention : «Pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive». Dans ce monde f(l)ou, certains ont accusé J. M. G. Le Clézio d’être un doux rêveur. D’autres qu’il est un «écrivain de droite», voire même un néo-colonialiste. Tout ça parce qu’il met en lumière les indésirables, les invisibles?
J. M. G. Le Clézio – Avers
Gallimard