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[Littérature] «À pied d’œuvre» de Franck Courtès, la liberté à tout prix


(Photo : francesca mantovani/gallimard)

Trois lignes, les premières, et l’essentiel est écrit. «Pour le dire en deux mots : j’ai cessé mon activité de photographe pour devenir écrivain. Rester écrivain est une autre histoire.»

Définition de l’écrivain selon Franck Courtès : «Le métier d’écrivain consiste à entretenir un feu qui ne demande qu’à s’éteindre. Un feu dans la neige. Il faudrait prévenir, mettre un panneau. Cela exige une grande volonté.» Alors, c’est cette autre histoire qu’il nous raconte, en moins de 200 pages dans un texte nu et cru, À pied d’œuvre. Un texte qui rapporte seulement des choses et temps vus et vécus. Mais pas la moindre plainte : Courtès assume avoir changé de vie pour vivre sa vie.

De nombreuses années durant, il a été un des meilleurs photographes sur la place de Paris. Des journaux, des visuels d’albums pour des maisons de disques. Sur des carnets d’archives, il légendait ses photos; dans les réseaux sociaux, il en faisait tout autant un livre. On lui suggéra de passer à l’écriture, au moment où Courtès supportait de plus en plus difficilement cette vie où le superficiel se confond avec l’ordinaire. Un jour, il photographie une ministre de la Culture qui le traite comme un moins que rien. C’est décidé : il quitte le monde de la photo, ignorant alors qu’il a choisi la vie en mode précaire…

Je me sens chassé d’un confort dont je ne mesurais pas le bonheur

Franck Courtès confie : «Je me suis mis à écrire, ce qui était une vieille passion. J’ai eu un succès d’estime. Je me suis senti emporté par cette passion (…) Malheureusement, ce que je n’avais pas prévu, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’argent dans ce milieu littéraire. J’ai connu la pauvreté assez rapidement, quand mes économies ont été épuisées…» L’auteur, qui s’est lancé en littérature en 2013 avec le recueil de nouvelles Autorisation de pratiquer la course à pied, rappelle que «le succès d’estime, le plus fréquent de tous, ne suffit pas à faire vivre un auteur. Nos bas de laine ne s’emplissent que d’espoir.»

On a comparé, à la hâte, le sixième et nouveau livre de Franck Courtès à L’Établi, de Robert Linhart, autobiographie d’un ouvrier Citroën et militant maoïste. Car si Linhart a expérimenté le travail avec le «peuple», Courtès a, lui, choisi et sa vie, et la liberté. Et en paie le prix : «Je me sens chassé d’un confort dont je ne mesurais pas le bonheur. Une simple balade en forêt, pourtant gratuite, devient une expérience différente par le fait que mes chaussures usées prennent l’eau et que je ne peux en acheter des neuves. Le monde autour de moi semble avoir changé. J’erre dans un autre pays, une autre civilisation.»

Sa femme et ses deux enfants sont partis vivre outre-Atlantique. Lui a vendu son appartement parisien, vit dans un petit studio vide prêté par sa mère, ou dans la maison familiale en province – deux gouffres financiers. Pendant le confinement de mars 2020, il a accepté de demander le RSA (le revenu de solidarité active, environ 600 euros mensuels). Il s’est inscrit sur des plateformes pour «louer» ses services d’homme à tout faire. Manœuvre à 20 euros par jour. Garçon de café. Laveur de carreaux… Une vie de «gens de peu», une vie où la liberté se paie au prix fort.

 

Franck Courtès – « À pied d’œuvre »

Gallimard

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