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Les variations citadines de Lucilin


Dans sa volonté de toucher un large public et d’investir des lieux insolites, l’ensemble de musique contemporaine pousse le curseur plus loin en laissant carte blanche à ses membres. Jusqu’à inviter le slam et l’électronique dans la danse !

Tout le monde le sait : la vie en collectivité n’a vraiment rien d’une sinécure. Elle s’articule selon des compromis, des échanges plus ou moins fructueux, voire une soumission à une autorité dominante ou persuasive. Au Luxembourg, l’ensemble United Instruments of Lucilin qui, depuis 1999, se consacre à la création et à la diffusion d’œuvres des XXe et XXIe siècles, n’échappe pas au constat. Et, après vingt ans de collégialité et de mixité, les égos demandent de la latitude pour s’exprimer. «Ce sont certes des artistes, concède la codirectrice Florence Martin, mais ils défendent également une cause : la musique contemporaine.»

Comprendre qu’avec le temps, «on se forge des opinions, on créé des liens forts avec des compositeurs, des esthétiques musicales…» Et qu’à un moment donné, toutes ces envies ont besoin de sortir, surtout quand on a affaire à des musiciens qui «apprécient contribuer à la programmation», sans la suivre par paresse. C’est même la «force» et la «richesse» de ce collectif, fort d’un noyau dur d’une dizaine d’interprètes et enrichi de multiples invités satellitaires. C’est le violoniste André Pons-Valdès, l’un des membres fondateurs, qui le dit : «Toutes ces perceptions, ces sensibilités différentes, il faut les mettre en lumière! Ne serait-ce que pour dévoiler une part de nous-mêmes» que les autres ignorent.

À bas les hiérarchies !

Guy Frisch, percussionniste et figure de proue du collectif, peut en témoigner, lui qui a participé à «In the Light of Air», premier concert du projet intitulé «Lucilin in the City» qui, chaque mois, donne carte blanche à l’un de ses membres. En février, c’est Danielle Hennicot qui a eu l’honneur de lancer l’initiative et la possibilité de sortir de son rôle d’altiste pour embrasser celui, nouveau, de curatrice. Elle a ainsi décoré l’église Saint-Michel de loupiotes pour la plonger dans une atmosphère «méditative», appuyée par la musique de deux compositrices nordiques. «C’est génial de découvrir de nouvelles facettes chez quelqu’un que l’on connait pourtant depuis longtemps, appuie-t-il. On partage un moment plus intime que dans d’autres circonstances.»

Il parle même d’échanges «à un autre niveau». Il s‘explique : «J’ai toujours milité pour faire tomber les hiérarchies. Compositeurs comme musiciens, tous œuvrent pour la création et l’envie de faire de la musique. Et les idées foisonnent!» D’où l’importance de les laisser se matérialiser. Toujours Guy Frisch : «En tant que musiciens, on a rarement l’occasion de s’exprimer. Et, après vingt ans, ça pèse! Ça peut même devenir frustrant quand on a sous la main une belle pièce musicale, ou un lieu intéressant à occuper.» Une «opportunité, une chance», ponctue André Pons-Valdès, pour qui cette proposition mensuelle permet aussi à Lucilin d’être «toujours en mouvement».

Un ensemble «kaléidoscopique»

Car oui, défendre la musique contemporaine nécessite d’être actif et de se remettre régulièrement en cause. Le CV de l’ensemble s’en veut le garant, entre ses productions surprenantes, ses invitations reçues de l’étranger, sa participation régulière au festival rainy days de la Philharmonie, sans oublier la surenchère d’Esch 2022 : soit deux jours non-stop de musique, d’installations et de sessions d’écoute. Après cette «ouverture au plus grand nombre», Florence Martin rappelle toutefois les fondamentaux : de la «régularité» dans l’offre musicale et de la «diversité», notamment dans les endroits à coloniser. Et, désormais, un troisième objectif : «mettre en avant» tout le monde et tous les points de vue, afin de refléter au mieux «l’aspect kaléidoscopique» de l’ensemble.

Depuis la fin de l’hiver et à travers cinq sessions, «Lucilin in the City» a alors investi la capitale pour une expérience de concert toujours renouvelée : des vents à la galerie Fellner Contemporary dans une «cave à l’acoustique incroyable», avec le saxophoniste Olivier Sliepen aux commandes; de l’électronique et des vidéos au musée Dräi Eechelen, lors d’une soirée imaginée par le pianiste Pascal Meyer; un accompagnement sur mesure pour le vibraphoniste Pascal Schumacher au TNL dans le cadre de la sortie en vinyle de son album CTRL Variations; et un oratorio poétique au théâtre des Capucins, afin de prendre quelques hauteurs philosophiques.

Entre vingt et trente dates prévues

Mais le prochain projet est sûrement le plus audacieux d’entre tous : demain au Gudde Wëllen, c’est une slameuse, Klar Obscur, qui sera entourée par un quatuor à l’initiative d’André Pons-Valdès. «C’est la fille d’une amie que j’ai vue s’épanouir au fil des ans», précise-t-il. Outre la filiation, sa volonté est surtout de mettre «des mots sur des musiques qui en disent déjà beaucoup», histoire «d’appuyer là où ça fait mal». Dans son programme, on trouvera ainsi une pièce de Shelley Washington sur la difficulté d’être métisse aux États-Unis, une autre de Philip Glass destinée en son temps à un ami décédé du sida, et encore un poème de Henri Michaux sur la violence sexuelle faite aux femmes.

Sans oublier des improvisations et même, selon la «set list» visible sur le site de l’ensemble, des arrangements de Nekfeu, Népal et Damso! Un projet «engagé» qui permet «d’élever la voix et parler de sujets difficiles». Une avancée, aussi, toujours plus loin «en terrain inconnu». Florence Martin : «Oui, on est passé à un stade supérieur dans l’aventure!», qui parle au passage de «laisser libre cours à ses idées», de «se surprendre», d’«embarquer les autres» dans ses fantaisies. Guy Frisch prend le relais : «Il faut décloisonner les styles, les publics, les lieux… Le mélange est à défendre!»

Lui aussi aura sa soirée, en décembre, qui fêtera les percussions dans un lieu encore à définir. «Autant montrer ce que je sais faire de mieux!», lâche-t-il dans un grand rire. À noter que les autres membres du collectif auront encore à l’avenir leurs mots à dire, plusieurs fois même, car «Lucilin in the City» pourrait s’étaler sur une vingtaine, voire une trentaines de dates. «On essaye de satisfaire tout le monde!», s’enthousiasme Florence Martin, qui aimerait que leur fougue et leur curiosité soient contagieuses, notamment auprès du public : «On a envie de leur dire : « venez les yeux fermés à l’adresse indiquée, et quelque chose vous y attend!»

«Lucilin in the City» #6 – Say it Loud! De Gudde Wëllen – Luxembourg.
Demain à partir de 19 h.

Avec André Pons-Valdés, Winnie
Cheng (violons) Manuel Visser (alto),
Ingrid  Schoenlaub (violoncelle) et
Klar Obscur (poetry slam).

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