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Les murs de Belgrade, un livre d’histoire à ciel ouvert


Les murs de Belgrade deviennent le support d'une nouvelle mode. (photo AFP)

Portraits de disparus aimés, drapeaux russes, criminels de guerre, déclarations nationalistes… Sur les murs de Belgrade se dessine l’histoire de la Serbie, peinte et repeinte au rythme des soubresauts politiques.

Fin septembre, un policier kosovar et des membres serbes d’un commando paramilitaire sont morts dans l’une des dernières montées en tension entre la Serbie et le Kosovo. Une poignée de jours plus tard, sur les murs de la capitale s’étalait en rouge, bleu et blanc : «Le Kosovo est le cœur de la Serbie», slogan cher aux nationalistes. Dans le centre-ville, les quartiers chics, sur le bord de l’autoroute… comme des tracts sur le béton, les slogans se réécrivent sans cesse.

«Les murs deviennent politiques – il y a toujours eu, à des degrés différents, de la politique dans les graffitis. Mais ces dernières années, après chaque évènement d’envergure, cela a augmenté. On peut voir des peintures de Poutine, même Trump a son portrait en ville. Il y a aussi eu une fresque représentant des combattants du groupe Wagner, beaucoup de soldats russes morts en Ukraine…», explique Hana Šuica, chercheuse, qui travaille sur un livre consacré à ce sujet. «C’est un champ de bataille (…) une guerre permanente dans laquelle les uns viennent profaner les œuvres, les autres viennent repeindre…»

Incompréhension de la police

La plus vieille fresque de Belgrade s’étale sur plusieurs mètres de haut en plein cœur de la ville. On y voit un étudiant de dos, tout de jean vêtu, cahier rouge sous le bras. C’est un professeur de l’Académie des arts, Čedomir Vasić, et ses étudiants qui l’ont réalisée en 1984, en hommage au 25 mai, jour de l’anniversaire de Tito, l’homme qui a régné d’une main de fer sur la Yougoslavie pendant 35 ans.

Le professeur Vasić a été arrêté et a passé une nuit en prison, raconte Ljiljana Radosevic, chercheuse en histoire de l’art spécialiste du graffiti. «J’imagine que les policiers ne savaient pas vraiment ce qu’étaient les fresques. C’était vu comme quelque chose de nouveau, de potentiellement dangereux.» Cinq ans plus tard, pour célébrer la tenue du IXe Congrès des non-alignés, les autorités ont compris l’intérêt, et des artistes de toute la Yougoslavie ont été invités à venir peindre des fresques, dont certaines signent encore l’identité de la ville.

Après une décennie 1990 marquée par l’effondrement de la Yougoslavie, les bombardements de l’OTAN et la chute de Milosevic, les murs de Belgrade deviennent le support d’une nouvelle mode. En 2014, un groupe punk, le Grupa JNA, donne naissance au Grobarski Trash Romanism : des portraits géants en noir et blanc de personnalités – écrivains, poètes, acteurs … – souvent vêtues d’un maillot du club de basket Partizan Belgrade. «Il s’agissait pour eux de montrer qu’on peut être un supporter et ne pas être une horrible personne, qu’on peut contribuer à la culture de Belgrade, de la Serbie», raconte Ljiljana Radosevic.

Le portrait de Ratko Mladic 

Les portraits deviennent tellement populaires que d’autres supporters, à l’opposé du spectre politique, en reprennent les codes pour peindre «des personnages troubles de notre histoire, comme Ratko Mladic». En mars 2023, selon l’Initiative des jeunes pour les droits de l’homme en Serbie (YIHR), il y avait dans Belgrade plus de 250 mentions (portraits ou graffitis) de l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, condamné à la perpétuité par la justice internationale pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre pendant le conflit en Bosnie (1992-1995). Début octobre, une citoyenne a même été condamnée à 850 euros d’amende pour avoir lancé des œufs sur une fresque murale à son effigie.

Pour embrasser en un coup d’œil les murs de Belgrade, il faut aller se planter devant l’université de philosophie et lever les yeux. Sous l’une des fresques non alignées de 1989 apparaît le visage en noir et blanc de Zoran Đinđić, Premier ministre serbe assassiné en 2003. Aimé des plus progressistes pour la vision libérale qu’il avait de la Serbie, il est haï d’une partie du pays pour avoir livré Slobodan Milosevic à la justice.

La fresque a été plusieurs fois profanée, barbouillée, au point qu’elle a été repeinte un peu plus haut afin de limiter les risques, laissant la place à des graffitis plus classiques en dessous. Noms, slogans… aucune figure controversée à l’horizon. On n’y voit peut-être que des lettres, admet Ljiljana Radosevic, mais, ici, «tout graffiti est politique».

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