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Le Festival de Cannes, une bulle inaccessible vue des quartiers populaires


La Croisette, ses stars, sa palme... très loin de la réalité des habitants des quartiers cannois. (illustration AFP)

Écrin de luxe et symbole du glamour, Cannes a aussi ses quartiers populaires, si loin de la Croisette et de ses stars. Pour rapprocher ces deux mondes, des ateliers cinéma s’installent, chaque année, dans un quartier déshérité.

Des grappes d’immeubles en béton rose grisâtre, un centre commercial flambant neuf : la Bocca est un quartier que les berlines des stars ne font que longer, en sortant de l’autoroute. Pour rappeler que la grande fête du cinéma mondial bat son plein chaque année à quelques minutes d’ici, un portrait d’Eddie Murphy, cravate dorée et lunettes noires, placardé sur l’abribus… et les ateliers que la Quinzaine des réalisateurs, l’une des sélections parallèles au festival, y organise tous les ans.

« L’idée est née en 2010, avec la volonté de faire venir les quartiers au festival », relate Louise Ylla-Somers, la cheville ouvrière du dispositif « La Quinzaine à la Bocca ». Projections au cinéma du coin, interventions avec un foyer pour mineurs, un collège, un lycée professionnel : au total, cette Quinzaine des cités touche environ 200 bénéficiaires, dont une large part en difficulté sociale.

Beaucoup habitent à Cannes, mais ne fréquentent quasiment jamais les salles obscures. « Nous venons toute l’année pour faire un vrai travail d’éducation à l’image », explique Mme Ylla-Somers.

Au rez-de-jardin de l’imposante médiathèque en béton brut de la Bocca, une dizaine de participants venus de Cannes et de sa voisine Grasse planchent avec Sacha Wolff, le réalisateur de Mercenaire, présenté en 2016 à la Quinzaine des réalisateurs. Un enregistreur passe de main en main : chacun livre son regard sur la ville.

Pour aller au kebab, « il fallait être VIP »

« Le festival ? Moi, j’ai pas aimé », lâche Indrit, 19 ans. Ce qui a déplu au jeune homme, un Albanais de Macédoine, ce ne sont pas les films : il n’en a pas vu. Ni les cocktails, il n’y était pas. Mais tout simplement la galère des habitants pour se déplacer dans cette période, « les transports bloqués » par l’affluence et le dispositif de sécurité.

Pendant le festival, « ma famille est venue en vacances. On voulait aller au kebab, et même là, il fallait être VIP : ils faisaient passer les gens avec des badges devant ! », relate Camille Gautier, en service civique dans une association qui participe au projet. Plusieurs dispositifs permettent aux Cannois d’assister à quelques séances, « mais il y a trop de monde, et pour beaucoup, c’est trop compliqué à demander », regrette la jeune femme.

« Les gens ne viennent que pour se montrer, il n’y a que les plus riches qui ont accès à tout », déplore Florian, 18 ans, cheveux en brosse. Il dit n’être jamais vraiment allé au festival, mais en a vu l’envers du décor, en faisant des petits boulots, avec son père, dans des hôtels.

Fierté malgré tout

Malgré leurs reproches, ces habitants cultivent une certaine fierté que leur ville accueille chaque année les grands noms du cinéma. « Pour aller au festival, je me suis habillée, je me suis maquillée, mais je suis restée derrière les barrières », raconte d’une voix timide Fatima Zahra. Pour ceux qui y participent, « c’est une très belle expérience, c’est comme un rêve. C’est un film de Bollywood, plein de joie ».

A ses côtés, Morgan, 24 ans, avoue aimer « les boîtes de nuit, les stars qui viennent, le côté bling-bling ».

« On ne sait pas ce qu’est vraiment cette ville », témoigne pour sa part Sacha Wolff. Au Festival, « tu te sens très loin de la réalité… Tu peux croiser un type déguisé en Madame Doubtfire qui roule sur son vélo ». Et pour lui, le monde du cinéma a tout à gagner à s’immerger dans les quartiers : la rencontre avec les habitants, qui débouche chaque année sur un petit film, prouve qu’on « peut faire un cinéma de qualité sans forcément avoir un bac + 5 ».

Le Quotidien/AFP

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