Dixième film des Dardenne, La Fille inconnue montre le bouleversement psychologique d’une jeune médecin. Avec Adèle Haenel, actrice française des plus prometteuses.
Une jeune médecin pleine de remords poursuit le souvenir d’une fille morte faute d’avoir été secourue… Une sorte de polar dans la lignée de ce que savent faire les frère Dardenne. Avec, certes, un peu moins d’émotion, sûrement, que dans leurs précédents films.
Le décor est immuable. Seraing, ville industrielle de 60 000 habitants en banlieue de Liège. Un décor qu’on a déjà vu dans les précédents films de Luc et Jean-Pierre Dardenne, qui sert de fond pour leur dixième et long métrage, La Fille inconnue – film présenté en mai dernier à Cannes où, dans le passé, le duo fraternel avait reçu deux Palmes d’or. Cette fois, les festivaliers ont applaudi du bout des doigts, certains allant jusqu’à signaler leur déception… Alors, les frères Dardenne, eux les maîtres du ciné-réalité, auraient-ils traversé une légère dépression atmosphérique avec crise d’inspiration à la clé? Vite dit…
D’une même voix, Luc et Jean-Pierre Dardenne confient que, depuis plusieurs années, ils pensaient à Jenny, ce personnage de médecin qui se sent «coupable, responsable. Elle refuse le sommeil, de dire : « Je n’ai rien vu, rien entendu »». Ainsi, à Seraing, on retrouve Jenny. Elle est jeune et médecin généraliste. Elle est dévorée par la culpabilité : elle n’a pas ouvert la porte de son cabinet à une jeune fille que, quelque temps plus tard, on retrouvera morte.
«On la voit faire un choix de vie»
La police indique à la jeune docteur que rien ne permet d’identifier la victime. Dès lors, Jenny est mue par une idée fixe : trouver le nom de la jeune fille – ainsi, elle pourra être enterrée avec son patronyme parmi les siens. Ainsi, elle ne disparaîtra pas – comme si elle n’avait jamais existé. Comme si elle était une fille inconnue…
Mais les frères réalisateurs rappellent que, dans leur nouveau film, il y a en fait deux inconnues : la jeune fille morte… et le médecin. Cette docteur, qui dit à son stagiaire : «Tu ne dois pas laisser les patients te causer une fatigue qui t’empêcherait de bien les soigner» et aussi : «Tu dois être plus fort que tes émotions si tu veux bien soigner» et dont on ignore tout de son passé, de sa vie privée. «On la voit faire un choix de vie, explique Jean-Pierre Dardenne. Celui de refuser une belle carrière pour rester dans le cabinet de banlieue parce qu’elle a l’intuition que ce n’est qu’ainsi qu’elle découvrira le nom de la fille inconnue.»
«C’est un personnage minimal, complète Adèle Haenel, l’interprète de Jenny. Les frères Dardenne m’ont offert un personnage calme, attentif aux autres. Car La Fille inconnue parle de ce qu’est la révolution intime quand on se confronte à l’altérité. Il faut perdre du temps avec les gens, c’est la seule manière de les rencontrer. Or, on est dans l’ère du temps efficace. Du coup, on a du mal à sortir d’un processus de séduction et on perd du temps avec les gens qu’on aime.»
Bien sûr, on va pouvoir dire que, de Rosetta à Deux jours, une nuit en passant par Le Silence de Lorna, les films du duo fraternel belge se ressemblent. Oui, mais on ajoutera qu’ils ne se copient pas. Parce que Luc et Jean-Pierre Dardenne demeurent fidèles à leur approche artistique. Ils assurent n’avoir ni thèse à défendre ni message à faire passer. Ils filment des polars sans se soucier des données policières ou métaphysiques. Un seul thème les intéresse véritablement : le bouleversement soudain d’une personne, conséquence d’un évènement imprévisible. Chez les Dardenne comme dans les grands textes de Dostoïevski, après la faute, il y a la rédemption…
Serge Bressan
La Fille inconnue, de Luc et Jean-Pierre Dardenne (Belgique/France, 1h46) avec Adèle Haenel, Olivier Bonnaud, Jérémie Renier…