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Joseph Kutter fait à nouveau étape au MNAHA


(photo Tom Lucas)

Le musée garde le rythme et après le succès de sa campagne d’acquisition du Champion, met à l’honneur son auteur à travers une sélection ramassée et des considérations écologiques dans le porte-bidons.

Quand le Nationalmusée um Fëschmaart (MNAHA) est lancé, il ne s’arrête plus, surtout quand il s’agit de défendre l’un des virtuoses de la peinture au pays, et assurément son préféré : Joseph Kutter (1894-1941). Un artiste «à part», lâche Michel Polfer, directeur d’un musée qui lui a régulièrement déroulé le tapis rouge depuis 1946 et son ouverture : au compteur, ainsi, quatre expositions lui ont déjà été consacrées, pour différentes raisons.

Déjà, par le leg de la fille, Catherine-Meyer Kutter, l’établissement est aujourd’hui à la tête d’une belle et exhaustive collection qu’il convient de montrer. Un attachement qui se remarque encore avec deux salles dédiées, qui présentaient jusqu’à peu, en continu, les grandes peintures à l’huile de Clervaux et de Luxembourg, créées pour l’Exposition universelle de 1937 à Paris.

Par le simple talent du peintre et sa force de caractère, ensuite, la régulière piqûre de rappel peut se justifier. Rappelons qu’il fut le chef de file du mouvement sécessionniste de 1926, jetant un pavé dans la mare de l’académisme grand-ducal. Que ses toiles et ses dessins au fusain, d’un expressionnisme inspiré, a aussi «introduit la grande peinture» au pays, selon ce qu’en écrivait son défenseur de toujours, Joseph-Émile Muller (ancien conservateur des Beaux-Arts du musée).

Mieux, poursuit-il, Joseph Kutter a inscrit «le nom du Luxembourg dans l’Histoire de la peinture» européenne par le biais d’expositions à l’étranger. D’anciennes photos prises à Berlin ou à Paris en témoignent. On trouve même un ancien catalogue traduit en chinois, souvenir de lointaines sollicitations venues de Pékin et Shanghai.

Scénographie «durable»

Mais pourquoi un tel retour au premier plan? Personne ne l’ignore à la vue du battage médiatique du bien nommé appel à souscription «Klammt mat an d’Course!» («Rejoignez la course!). Au bout de la longue ligne droite, attaquée avec un gros braquet début juin 2023, l’acquisition (pour un peu plus de 100 000 euros via une campagne de crowdfunding et des dons directement versés au musée) du tableau Le Champion représentant Nicolas Frantz, double vainqueur du Tour de France (1927, 1928).

Une campagne de surcroît défendue par trois ambassadeurs de haut standing : Christine Majerus et les frères Schleck. Désormais inscrite dans les collections nationales, l’œuvre, d’une «extrême importance», selon Michel Polfer, sert aujourd’hui de prétexte au MNAHA pour une nouvelle exposition autour de Joseph Kutter. C’en est même le pilier. 

Histoire de ne pas la louper, elle trône au musée entourée des noms de 557 contributeurs. Devant la toile, encore, le vélo de l’ancien coureur de Mamer, véritable relique qui constitue l’un des deux seuls prêts de la réunion (avec le chevalet de l’artiste). Car celle-ci soutient, par la voix de ses deux commissaires, Lis Hausemer et Muriel Prieur, une première tentative de scénographie «durable».

Comprendre que l’espace est resté dans son jus, que les salles n’ont pas été réagencées, ni repeintes, et que pour des questions d’empreinte carbone, la majeure partie des œuvres viennent des fonds du musée, sans recours à l’extérieur. Sans oublier d’autres choix écoresponsables concernant les matériaux utilisés (recyclables, réutilisables). Un démarchage qui fait sens, mais qui sera sûrement plus compliqué à poursuivre avec des expositions plus ambitieuses et plus amplement construites.

Maladie «mystérieuse»

En peu de temps et à peu de frais, donc, «Dem Kutter seng Gesiichter» («Les visages de Kutter») espère toutefois offrir un plus, soit un «nouvel éclairage» sur le travail de l’artiste. Comme son appellation l’indique, l’angle pris ici est la figure humaine que Joseph Kutter aborde un peu comme un photographe. Ses portraits prennent en effet la pause dans une allure rigide, quasi immobile.

Mais parallèlement, le peintre déjoue l’exercice de la simple représentation, créant, tel un marionnettiste, des archétypes parfois proches de la caricature avec leurs petites têtes et leurs corps imposants. Parmi ce vaste ensemble de personnages, notamment ceux, clés, des années 1930, quelques cas emblématiques : Le Cheval de bois, Suzanne, Tête de clown et Autoportrait.

Parmi d’autres œuvres de fin de carrière de l’artiste, bon nombre sont centrées sur sa famille proche (Rosalie Sedlmayr, son épouse, et leurs deux enfants, Catherine et Dolphe). Elles s’orientent, davantage que les précédentes, vers quelque chose de plus sombre encore, aux traits épais et aux figures floues, comme pour mieux souligner la «mystérieuse» maladie qui ronge alors Joseph Kutter et l’affligera durant les quatre dernières années de sa vie.

Ce n’est pas le cas pour ses tableaux datant des années 1920, à l’instar de ces deux femmes, l’une fatiguée, l’autre ennuyée : sur La Baîlleuse, ses coups de pinceau énergiques, faits de vert et d’orange, détonnent. Et avec La Femme accoudée, le peintre montre son penchant pour les lignes et les formes géométriques.

Au revers du tableau

Le MNAHA termine la démonstration avec deux singularités : d’abord une petite section dédiée à l’imposante maison de l’artiste, qui se trouvait à quelques mètres seulement du musée, au Limpertsberg. Une des premières (si ce n’est la première) au Luxembourg construite comme un cube dans le style Bauhaus, et qui vient d’ailleurs de faire l’objet de travaux de réhabilitation dans l’esprit d’origine.

Ensuite, un espace dédié à la technique picturale de l’artiste, sur laquelle «personne ne s’était jamais vraiment penché», précise Muriel Prieur. C’est désormais chose faite, notamment à travers un PowerPoint pédagogique qui montre que Joseph Kutter n’était pas un peintre si «instinctif» que ça.

«Il semble lutter avec ses compositions», affirme ainsi Lis Hausemer, songeuse, vite prolongée par sa collègue : «Il a travaillé plus d’un an pour certaines d’entre elles», dit-elle, appuyant sa réflexion en avançant l’exemple, bien documenté, du Pêcheur (1932-1933). Pour en arriver à bout, l’artiste a en effet laissé derrière lui (et au passage dans les collections du musée) un dessin préparatoire, deux esquisses et deux autres gouaches évolutives.

Et quand on regarde le revers du portrait de Suzanne et du paysage Le Débarcadère en Hollande, on trouve d’autres tentatives sur le même sujet. De quoi donner envie, «à l’avenir», d’en savoir encore un peu plus sur lui et son art, comme se le promettent les deux commissaires. C’est certain, au MNAHA, on n’en a pas fini avec le cas Kutter.

«Les visages de Kutter» Nationalmusée um Fëschmaart (MNAHA) – Luxembourg. Jusqu’au 1er septembre.

 

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