Madeleine de Proust des trentenaires et quadragénaires, le Club Dorothée fermait ses portes il y a 25 ans. Une aventure «incroyable» que racontent les protagonistes.
29 août 1997. Après avoir diverti des millions d’enfants et régné sur les programmes jeunesse pendant 20 ans – dont 10 sur le service public avec Récréa A2 –, Dorothée et ses acolytes Jacky, Ariane et Corbier tirent leur révérence, entre des épisodes d’Inspecteur Gadget et des Chevaliers du zodiaque. L’animateur Patrick Simpson-Jones, lui, a quitté le navire en 1996, après avoir reçu son lot de tartes à la crème au Club Do’, cocktail de sketchs, de dessins animés majoritairement japonais, de chansons et de séries à l’eau de rose produites par AB.
Pour les fans, l’arrêt de l’émission, aux audiences toujours bonnes, sonne «comme un tremblement de terre», comme le chantait Dorothée, qui décline aujourd’hui les demandes d’interview. Devant comme derrière la caméra, «il y avait un mélange de tristesse, d’émotion, des larmes dans les yeux», témoigne Jacky. «Ça a été un drame : on employait plus de 1 000 personnes», explique le producteur Jean-Luc Azoulay, cofondateur d’AB avec Claude Berda, également à l’origine d’Hélène et les garçons et autres sitcoms des «années Dorothée».
«Ils ont voulu nous tuer!»
Ce n’est pas la volonté de renouvellement de TF1, l’usure des téléspectateurs ou la concurrence des Minikeums sur France 3 qui ont motivé l’arrêt, assure Jean-Luc Azoulay, prévenu par «lettre recommandée le 24 décembre 1996» avant une annonce publique en mars 1997. Selon lui, le PDG de TF1 de l’époque, Patrick Le Lay, entendait plutôt riposter à la création par AB, devenu pour le coup un empire du bouquet par satellite AB Sat, concurrent de TPS, codétenu par TF1. «Ils ont voulu nous tuer!»
Tout avait pourtant si bien commencé… Dès sa privatisation en 1987, TF1 sollicite AB pour remplir sa grille en urgence. Jean-Luc Azoulay, qui produisait les disques de Dorothée, convainc sa chanteuse de quitter Récré A2 pour le suivre sur la Une. Le succès est au rendez-vous, avec plus de 40 % de parts d’audiences. Les 600 heures de programmes par an initialement prévues dépassent vite le millier, et Dorothée squatte l’antenne quotidiennement au petit déjeuner, au goûter, lors d’un long direct le mercredi.
Émission pionnière sur l’écologie
Mais le programme est décrié pour sa crétinerie supposée, son aspect mercantile, et surtout la violence de ses dessins animés nippons. Qualifiés par certains de «japoniaiseries», ces derniers ont toutefois marqué durablement la France, deuxième consommateur de mangas derrière le Japon. «Les gens qui nous critiquaient, notamment les journalistes de la presse branchée, n’avaient jamais vu le Club Dorothée», plaide Jacky.
«On a vite engagé des psychologues» pour censurer les passages inadaptés au jeune public, rappelle en outre Jean-Luc Azoulay. «On voulait amuser les enfants, mais aussi les cultiver, leur faire découvrir le monde» à travers des émissions tournées à l’étranger pendant les vacances scolaires, se défend-il, regrettant «l’absence de liant» humain dans les programmes jeunesse actuels. Et le producteur de citer l’émission pionnière sur l’écologie Terre, attention, danger, coanimée par Dorothée et le vétérinaire Michel Klein, ou «les séquences de bienfaisance» comme des Millions de copains.
Clichés sexistes et racistes
Ces dernières années, les critiques visent surtout des moments jugés sexistes ou racistes, comme Dorothée chantant avec le groupe guadeloupéen Zouk Machine, le visage peint en noir, ou les clichés coloniaux de certains clips. Des scènes qui «ne passeraient plus aujourd’hui» mais reflètent une époque où «les adultes n’avaient pas conscience de leur impact», selon le journaliste Alexandre Raveleau, auteur d’AB Génération.
Le Club Dorothée et l’empire AB n’en restent pas moins une étape «incroyable» et «unique» de l’histoire du petit écran, estime ce spécialiste de la télévision, invoquant le «volume» de programmes produits en dix ans. «C’était une aventure merveilleuse!», confie Bernard Minet, ancien membre du groupe Les Musclés. «Le plus terrible, ça a été la disparition prématurée des copains», avec la mort des Musclés René et Framboisier, suivis de Corbier et Ariane.
Dorothée, la discrète
La chanteuse et animatrice Dorothée, 69 ans aujourd’hui, qui a bercé le quotidien de millions d’enfants pendant deux décennies, ne se montre plus que rarement en public. Sa dernière apparition remontre à fin janvier dans l’émission La Chanson secrète, sur TF1. Émue aux larmes, la détentrice du record de concerts pour une femme à Bercy (59) y retrouvait certains de ses anciens camarades du Club Dorothée, l’émission culte qu’elle a présentée de 1987 à 1997 sur TF1, après dix ans aux commandes de Récré A2 sur le service public.
Hormis quelques incursions télé et un retour en demi-teinte sur scène en 2010, Dorothée a disparu des radars depuis son éviction de TF1 en 1997. Si la télé lui «manque», la blonde au célèbre nez croqué par Cabu décline les interviews et attend toujours «le projet qui saura (la) séduire», expliquait-elle à Télé 7 jours en 2020. Frédérique Hoschedé (de son vrai nom), d’abord speakerine puis présentatrice de Dorothée et ses amis, avant de se tailler un succès en tant que chanteuse, a essuyé aussi de nombreuses moqueries sur la vacuité de son émission.
« C’est la plus grande professionnelle que j’ai rencontrée »
«Les méchancetés sont toujours difficiles à avaler», confiera-t-elle en 1992 à Thierry Ardisson dans Double Jeu. Elle peut toutefois compter sur le soutien de ses anciennes troupes. «En 42 ans de télé, c’est la plus grande professionnelle que j’ai rencontrée», assure son ami Jacky, soulignant qu’«elle n’avait pas du tout la grosse tête». «Elle veillait à ce que l’équipe technique soit aussi bien traitée que les gens à l’image», abonde l’ancien producteur exécutif du Club Do’, Thierry Bastian.
À la fin de chaque concert, l’artiste aux 17 millions de disques vendus «ramassait toutes les roses que lui offraient les enfants», rapporte Bernard Minet, membre du groupe Les Musclés. Très secrète, malgré les questions insistantes des journalistes, notamment sur le fait qu’elle n’ait jamais eu d’enfant, Dorothée vit désormais entre la Normandie et Paris, où «elle peint» et «regarde beaucoup la télé», selon Jean-Luc Azoulay.