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Hosanna : homo-hétéro, même combat !


Denis Jousselin et Serge Wolf : deux personnages tragiques qui se cherchent et rêvent trop fort. (photo Bohumil Kostohryz)

Pour le Théâtre du Centaure, Jérôme Konen met en scène la pièce emblématique de Michel Tremblay, Hosanna. Une œuvre qui s’appuie sur les blessures d’un couple homosexuel pour mieux parler de l’humain et ses rêves brisés. Ce drame de 1973, l’une des créations les plus jouées à travers le monde, n’a pas pris une ride.

Sur scène, un miroir, du maquillage, d’anciennes photographies d’Elizabeth Taylor dans son rôle de Cléopâtre et un matelas crasseux en guise de couche. On se croirait dans un squat délabré de junkie, sensation renforcée dans la cave voûtée et humide du Centaure qui, pour le coup, reçoit Hosanna du dramaturge québécois Michel Tremblay. Une belle conclusion de saison, en tout cas, avec une pièce qui a marqué son époque et qui compte désormais parmi les classiques, régulièrement, donc, montée à l’étranger.

C’est à Montréal que se trouvent les origines de cette comédie acide, cité qu’a justement arpentée Jérôme Konen il y a de ça trois ans. Il se souvient  : « Je me rappelle une ville relativement pauvre, surtout au vu de certains quartiers. Là, je tombe sur une librairie qui vendait l’anthologie de Michel Tremblay pour 1,50 euro! Je ne m’en suis pas privé… » Le jeune metteur en scène découvre alors une écriture « directe et limpide ». « Je me suis dit : « Il a de l’humour, ce mec… et du talent .» Et c’est logiquement qu’il s’approprie aujourd’hui l’une de ses œuvres.

Créée en 1973, Hosanna est emblématique à plus d’un titre  : déjà, son auteur évoquait la population homosexuelle qui était jusque-là absente des planches, mais surtout, il s’attachait à la figure plus originale encore du travesti, dans un symbole à peine caché du trouble identitaire qui agitait alors le Québec, notamment à travers les tensions entre la majorité anglophone et la minorité francophone. Partant de ce point de vue, Michel Tremblay imagine alors l’histoire d’un couple fluctuant entre haine et amour, entre rejet et attachement. « Ils se détestent tellement eux-mêmes qu’il n’arrivent pas à se trouver dans le couple », précise Jérôme Konen.

«À la fois ridicule et touchant»

Il y a donc Hosanna. Le jour, elle répond au nom de Claude Lemieux, coiffeur. La nuit, elle arpente les bars de la Main de Montréal au sein du milieu « haut en couleur » des drag-queens, cherchant la lumière et la gloire dans les habits de Cléopâtre qu’a portés avec grâce Elizabeth Taylor. À ses côtés, on trouve Cuirette, son homme, l’« archétype masculin » qui ne supporte plus son image de motard vieillissant, abîmé par l’âge et les excès. S’il aime les «coups d’un soir» dans un des parcs de la ville, il reste dépendant d’Hosanna, qui lui fournit un toit, même si c’est un « taudis ». « Ils n’ont rien, seulement leurs rêves et leurs illusions », ajoute encore le metteur en scène.

Un soir de fête costumée, la tension, déjà effective dans ce couple singulier, s’accentue quand Hosanna rentre dépitée, apparemment humiliée. Une profonde remise en question de ses aspirations et sa personnalité multiple –  Cléopâtre miteuse, teigneuse, amoureuse, jalouse, sensible – est mise en branle… Denis Jousselin, qui joue ce travesti – il avoue avoir déjà endossé le rôle d’une femme dans Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz – trouve ce personnage à la fois « ridicule et touchant  ».

Grotesque dans ses habits outranciers, profondément humain dans sa douleur et la recherche de son identité intérieure. Un avis que n’aurait pas renié Michel Tremblay qui considère que le travesti – dont le déguisement est la vérité – est forcément « tragique ». Il expliquait ainsi : « Claude-Hosanna-Cléopâtre ne doit pas être drôle. C’est un travesti « cheap » avec tout ce que ça comporte de touchant, de triste, d’exaspérant et d’exaltant parce qu’exalté. »

Jérôme Konen apporte sa pierre à l’édifice en parlant d’« intégration ». « Il s’est inventé un personnage parce qu’il n’a jamais eu de reconnaissance. Maintenant qu’il a trouvé un sous-groupe qui l’a accepté, il va aller jusqu’au bout de ses envies .» Une problématique qui reste, selon lui, d’actualité. « Si on prend un village du nord du Luxembourg, pas sûr qu’il soit tellement ouvert à l’arrivée d’un homosexuel. »

Un enracinement contemporain accentué par la fait que le sida n’était pas encore découvert au moment de l’écriture de la pièce. « De nos jours, on peut vivre avec la maladie qui, à mes yeux, a été dédiabolisé e.» La pièce évite alors les clichés à la Philadelphia , qui dit que les « couples homosexuels, à cause du sida, ne peuvent pas vivre heureux ».

Le Québec et ses «perles linguistiques»

Car oui, Hosanna est drôle. Déjà par ses racines québécoises et ses « perles linguistiques ». Ensuite, parce que les personnages, même dans leur détresse, ne se prennent pas au sérieux. « Ils arrivent à se moquer d’eux-mêmes. » Autant de raisons qui font dire au metteur en scène qu’il « n’a jamais autant rigolé durant des répétitions ». Mieux  : si, à première vue, cette œuvre se penche sur la question de genre, elle est avant tout le reflet d’une humanité complexe. « Le travestissement est un masque comme un autre », lâche, avec justesse, Jérôme Konen. Un parallèle permis grâce à la finesse de Michel Tremblay.

En effet, ce dernier, s’il arrive à saisir la particularité de ces âmes blessées, ne les fige pas dans leur spécificité, leur excentricité : il arrive en effet à en dégager une sorte de dénominateur commun de l’être humain, à travers le conflit entre nos aspirations et la réalité de nos vies. Fêlures, destins cabossés, vies fissurées… Il y en a pour tout le monde! « Cette pièce est une preuve qu’un couple homosexuel peut remettre en question et interroger les relations hommes-femmes », martèle le metteur en scène, ajoutant que « les problèmes sont les mêmes pour tout le monde ».

Hosanna serait donc à voir comme une exploration du malheur d’être soi. Du coup, les deux personnages ne sont peut-être, au fond, ni des hommes ni des femmes, mais deux êtres étouffant sous leurs couches de fantasmes et de maquillage. Bref, ce qu’est l’homme, entre apparence et vérité. Hosanna n’est dès lors pas plus une pièce sur l’homosexualité que sur le problème identitaire québécois. C’est une œuvre sur la complexité de l’humanité et les rêves brisés, ô combien nombreux et éternels.

Grégory Cimatti

Théâtre du Centaure – Luxembourg. Les 12, 13, 15, 16, 20, 22, 23 mai et 6 juin à 20 h, ainsi que les 17 et 21 mai, 4 et 7 juin à 18 h 30.

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