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«Hors-d’œuvre» : du goût pour l’art


De l’abondance des banquets au sucre en excès, le Cercle Cité dresse la table et montre comment l’alimentation dans l’art reste un sujet toujours nourrissant.

Attention, il est interdit de s’asseoir ou de se coucher sur la frite». Voilà un étonnant avertissement, pas bien loin d’ailleurs d’autres étrangetés, comme ces canettes de Jupiler vidées et balancées à même le sol. On pourrait se croire, pour l’esprit et l’image, un soir de bombance à Liège. On est pourtant au Cercle Cité qui, à travers la sélection de huit artistes issus de la Grande Région (et ses encablures), se penche sur un sujet omniprésent dans l’Histoire de l’art : la nourriture qui, de la représentation des divinités grecques aux natures mortes hollandaises du XVIIe siècle, met en lumière la relation complexe qui lie depuis toujours l’homme et son estomac.

Pour justifier cette thématique ultra-référencée, la commissaire de l’exposition (également directrice des lieux depuis juin), Anastasia Chaguidouline, déroule les arguments : déjà, elle est d’actualité et soulève de nombreuses questions écologiques et sociales comme les notions de gaspillage, de pollution, de production… Ensuite, elle est suffisamment intelligible pour plaire au grand public, difficile à mobiliser. Enfin, elle tient à la mission même du Cercle Cité qui, rappelons-le, appartient à la Ville de Luxembourg : donner plus de visibilité à l’art contemporain, et créer du lien avec les autres institutions.

Léger, non exhaustif et ludique

C’est chose faite à travers une collaboration inédite avec le Lëtzebuerg City Museum qui, avec «All you can eat», s’intéresse parallèlement à l’alimentation, dans une perspective certes plus historique. Face à celle-ci, gargantuesque, la bien nommée «Hors-d’œuvre» joue la carte de la légèreté, dans une sorte de mise en bouche non exhaustive et ludique. Dans ce sens, la curatrice reconnaît s’être inspirée d’«Amuse-bouche», présentée en 2020 au musée Tinguely de Bâle où elle travaillait alors. D’ailleurs, sur son bureau, le catalogue d’exposition s’y trouve toujours. De son séjour suisse, toutefois, elle ne rapportera pas que des souvenirs et un savoir-faire, mais aussi une artiste qui l’a marquée : Bea de Visser.

Attention, il est interdit de s’asseoir ou de se coucher sur la frite

Cette dernière revient avec la même vidéo, toujours muette, sur laquelle on voit de jeunes filles, mâchoires en gros plan, mastiquer ostensiblement des chewing-gums. Un rituel à la fois vulgaire et ingénu, révélant en creux toute la vulnérabilité de la construction de l’identité féminine, sujet auquel Anastasia Chaguidouline se dit encore plus sensible après s’être occupé, au Luxembourg, de deux monographies au masculin (celles de David Lynch et Gast Michels). Rien d’étonnant alors de découvrir plus loin une autre passionnée de gomme à mâcher : Simone Decker, qui ressort des cartons sa série trompe-l’œil, montrée lors de la 48e Biennale de Venise en 1999, à laquelle on «adhère» forcément.

Ugo Li, artiste addictif

Deux autres œuvres prolongent cet effet miroir : l’installation «punk» d’Alexandre Lavet qui, avec ces bières (ou plutôt ce qu’il en reste), rappelle qu’aux vernissages, l’art peut être secondaire. En face, pour répondre aux pique-assiettes et à la surconsommation frénétique, Trixi Weis propose une solution : des verres coupés en deux dans le sens de la hauteur avec lesquels il devient alors impossible de trinquer, sauf à en mettre partout! Outre le fait d’être toujours à moitié plein (ou vide), ils soulignent d’autres préoccupations comme l’inflation et la disparition des classes moyennes. Comme la crise frappe tout le monde, y compris les artistes, ces objets sont en vente (vingt euros les quatre). Ce n’est pas le cas de sa minuscule maison en sucre, presque invisible, métaphore de la malbouffe au cœur des foyers luxembourgeois.

Les frites géantes de Puck Verkade (soulignées d’une vidéo assez «kafkaïenne») et l’appétissante invitation, sous forme de néons, de Jieun Lim («dried squid, cold beer and peanuts») pourraient se trouver à la table d’Ugo Li. Ses tableaux, aux jeux de mots et mises en scène absurdes, jouent avec l’iconographie des banquets et l’abondance propre à ces agapes. Auprès du public de la proche galerie Reuter-Bausch qui le soutient, l’addiction est totale : ayant vendu toutes ses toiles, il a dû en produire de nouvelles pour l’occasion. Florence Haessler connait cela, quand son triptyque Sweet Country, hommage tricolore à son pays d’accueil, le Luxembourg, avait tapé dans l’œil de la bourgmestre Lydie Polfer, et été acheté par la Ville en 2020. Il faut reconnaitre que sa technique, mélangeant avec gourmandise photographies et peinture, tape à l’œil. Un hyperréalisme saisissant. Succulent serait même plus approprié.

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