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Freshdax, le duo hip-hop qui tire sur les Luxembourgeois


Avec Freshdax, les Luxembourgeois «vont devoir faire une croix sur la routine!». (photo Catie Pereira)

Les deux «sales garnements» de Freshdax sont de retour avec un second album, sur lequel ils tirent à boulets rouges sur les manies et attitudes de leurs compatriotes. Le tout sur un son hip-hop à la cool et en luxembourgeois!

Deux potes d’enfance, Jacques Rasic et Julien Primout, tous deux dans le milieu musical depuis des années, proposent, avec Freshdax, du «rap 100% luxembourgeois», dans lequel les jeux de mots servent une critique de la société grand-ducale. C’est à la fois frais, sympathique et rentre-dedans. Rencontre.

Le Quotidien : Deux ans après Ziel mir net däi Liewen (Ne me raconte pas ta vie), vous revenez avec Alles beim Alen, Alen (Rien n’a changé, vieux! ). Qu’entendez-vous par ce titre?

490_0008_14388580_FRESHDAX_ABAA_COVER_ITUNESJulien  Primout  : Simplement remettre un coup de pied dans la fourmilière luxembourgeoise. Beaucoup, dans ce pays, aiment bien que rien ne change, que leurs petites habitudes ne soient pas bousculées. Ils sentent le danger dans tout ce qui est nouveau.

Durant ces deux dernières années, on a changé de politique, avec d’autres drôles de spécimens qui nous dirigent. Sans oublier cette vague de migrants qui arrive au pays, qui provoque, chez une partie de la population, une crainte, en l’occurrence celle de perdre tout ce qu’elle a acquis dans le passé, de renoncer à une part de son bonheur. Oui, le changement, pour certains, c’est dangereux!

D’où cet album, et ce fil rouge qui lie les chansons entre elles. Mais qu’on se le dise, avec Freshdax, les Luxembourgeois vont devoir faire une croix sur la routine!

Vous restez donc sur le ton de l’ironie…

Jacques  Rasic  : Bien sûr. L’humour et l’ironie permettent de faire passer pas mal de choses, et c’est un ton que l’on aime bien. Dans un sens, nous non plus, on n’aime pas le changement (il rit) .

Julien  : Le second degré et les jeux de mots, c’est aussi un bon moyen pour expérimenter la langue, jouer avec tout ce qu’elle offre comme possibilité, et il y a encore énormément de choses à faire. On peut y mélanger plein d’autres langues, car le luxembourgeois reste un amalgame, un pot-pourri d’influences et d’accents. C’est un grand plaisir que de s’amuser avec tous ces éléments.

Jacques  : Quand je poste quelque chose sur Facebook, vous pouvez être sûr que deux minutes après, Julien me fait un SMS pour me dire que j’ai fait une faute d’orthographe ou grammaticale. C’est sûr, il est un peu à cheval là-dessus. Mais bon, moi, je suis juste un immigré qui est venu au Luxembourg pour le boulot avec mon portable en poche (il rit) .

Si Freshdax défend la langue luxembourgeoise, il n’est pas tendre avec ses contemporains. Une nouvelle fois, pourrait-on dire…

Julien  : C’est vrai, même si sur le premier album les critiques étaient plus légères. Là, on va plus loin dans les prises de position politiques, sociales et culturelles. On essaye de secouer le Luxembourg comme il faut avec des sujets qui font rire, certes, mais aussi et surtout réfléchir.

« On doit faire chier les vrais rappeurs, car on ne fait rien comme les autres »

 

Quels sujets abordez-vous, alors?

Julien  : La sclérose sociale, le faux patriotisme qui existe au pays et ces gens qui veulent fermer les frontières, l’égalité des chances face à la discrimination des minorités…

Jacques  : (Il coupe) Disons que, politiquement parlant, on est plus rouges que noirs… Alors la force conservatrice et droitiste du Luxembourg, très peu pour nous!

Julien  : Dans cet album, on parle même de ces femmes qui s’emmerdent tellement à la maison qu’elles font de l’aquarelle et exposent dans une galerie de Hostert (NDLR  : sur la chanson Abstrakt Hausfraëkonscht ). Elles se réinventent artiste d’un jour à l’autre! Et ne rigolons pas trop fort, car on en connaît tous au moins une… En même temps, je les aime bien.

Jacques  : Et pourquoi est-ce toujours de l’art abstrait?

Julien  : C’est un truc qui, à mes yeux, n’existe qu’au Luxembourg, vu la petitesse du pays et son côté « tout le monde connaît tout le monde ». À Paris ou à Londres, ce n’est juste pas possible!

Jacques  : J’ai vécu huit ans à Munich et je ne pense pas que ce phénomène typiquement luxembourgeois se soit exporté… À la limite, dans les cabinets de dentiste.

Julien  : Mais mon dentiste a ça dans sa salle d’attente! Ce sont des tableaux de sa femme. Ils sont tous bleus et ont des noms à forte connotation sexuelle (il rit) .

Vos textes, écrits en luxembourgeois, restent inaccessibles à une bonne partie de la population. Est-ce un handicap?

Jacques  : Non. D’abord, on n’a aucune envie de s’exporter. Ensuite, je connais pas mal d’Allemands, de Français, de Belges qui, quand je leur raconte les textes, ne sont pas surpris. Ils nous voient déjà comme ça. Bien sûr, on est dans le cliché pur et dur, mais derrière un lieu commun, il y a toujours une part de vérité.

Julien  : Une traduction, même pour le fun, n’aurait pas vraiment de sens, car dans les paroles il y a trop de jeux de mots, de finesse. Ma mère en a d’ailleurs fait une pour mon père, qui est français, et ça n’avait plus aucun sens. Des guillemets partout. Une catastrophe.

« Avec la langue luxembourgeoise, il y a énormément de choses à faire ! »

 

Vous vous définissez comme des rappeurs «anti-gangsta», «anti-bling-bling». Qu’avez-vous pensé alors du buzz occasionné par Manny et ses flingues factices devant la Rockhal?

Julien  : On ne s’est pas trop penchés sur le sujet, car on a l’impression que ça ne touche pas la scène à laquelle on appartient. Au Luxembourg, il y a une véritable frontière entre ceux qui font du live et ceux qui se produisent uniquement sur YouTube. Et il y a un paquet de rappeurs au pays qui comptabilisent de nombreux clics et commentaires, mais qu’on ne verra jamais en concert.

Jacques  : Ceux qui se produisent sur scène se comptent même sur les doigts des deux mains. Et ce sont toujours les mêmes, en dehors de rares nouvelles têtes comme Tommek, par exemple. Oui, la vaste majorité du rap au Luxembourg reste de l’autoproduction « maison » servant à nourrir YouTube. Et ça s’arrête là…

Julien  : Alors qu’à mes yeux, tout le monde peut monter sur une scène. C’est juste une question d’envie… et de volonté.

Jacques  : C’est dommage, car quand on se retrouve devant un public qui partage alors vos textes, c’est une mise à nu enthousiasmante! Mais c’est vrai aussi que ça réclame des heures de répétitions et une sacrée organisation, ce que certains ne veulent pas. Mais à chacun sa méthode…

Julien  : De toute façon, quand on a créé Freshdax, c’était pour le live! Peut-être qu’on est plus « old school » que d’autres.

Justement, comment se sont passés vos concerts jusqu’ici?

Julien  : On a fait des grosses scènes comme le e-Lake, les fêtes de la Musique, le Rock-A-Field… Bon, c’est vrai, on ne joue pas aux meilleurs horaires, mais c’était intéressant.

Avez-vous suscité des débats en « coulisses », vu vos paroles?

Julien  : Eh bien pas vraiment. Sûrement parce qu’avec le premier album on défendait une position plus ironique et un peu nostalgique. D’où ce second, plus mordant.

Jacques  : C’est vrai. Le plus marrant, c’est que l’on est quasi insignifiants sur la scène dite « rap » au Luxembourg, et qu’on est plutôt écoutés par des gens qui aiment la pop et le rock.

Julien  : Mais à mon avis, on doit quand même faire chier les vrais rappeurs, car on ne fait vraiment rien comme les autres, que l’on parle de la musique, de la technique ou des sujets que l’on aborde. Avec Freshdax, on est loin du classique credo « hip-hop », au moins au Luxembourg.

Une philosophie qui s’observe aussi dans la production musicale, loin d’être tapageuse.

Jacques  : L’idée c’était vraiment poursuivre dans cette direction à la cool. Du soul-funky qui sonne très « nineties », certes un peu plus riche et détaillé que sur le premier album. On pourrait faire dans un truc plus juvénile, mais ça ne marcherait pas du tout. Avec le flow plus « agressif » de Julien, ça se complète bien.

Julien  : En même temps, certaines personnes trouvent Freshdax assez violent. Ça m’a étonné. Cela dit, je chante dans un autre groupe de hardcore (NDLR  : Everwaiting Serenade). Il y a de quoi relativiser…

C’est peut-être l' »effet Jacques », qui vous appuie à la voix, chose qu’il n’avait jamais faite jusque-là, sur disque en tout cas…

Jacques  : (Il rigole) Oui, c’est la nouveauté! Je rappe maintenant à plein temps. J’ai dû me lancer, sachant qu’en live, j’étais déjà sur le devant de la scène. Au moins, comme ça, Julien n’est pas tout le temps sous le feu des projecteurs, et je lui évite de prendre la grosse tête (il rit) .

Julien  : C’est sympa, merci! Finalement, Freshdax, c’est un peu comme un vieux couple  : on se prend souvent la tête, mais on prend soin l’un de l’autre. C’est ça l’amour!

Grégory Cimatti

Freshdax «Vinyl Release Party». Rotondes – Luxembourg. Samedi 23 janvier à partir de 20h. À cette occasion, Freshdax partagera l’affiche avec Tommek et Mr. Charly & De Lux.

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