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Fifou immortalise le rap français


Pour les pochettes d’albums qu’il «shoote», Fifou est seul derrière l’appareil, mais il travaille en amont avec les rappeurs pour définir une charte visuelle. (photo AFP)

Actif depuis vingt ans, Fifou, le photographe star du rap en France qui a réalisé près de 1 000 pochettes de disques, voit le regard changer sur le hip-hop.

Dans la saison 2 de la série Validé, diffusée à l’automne 2021 sur Canal+, Fifou joue son propre rôle. Normal : dans le monde du rap français – le sujet de la série qui a révélé le rappeur Hatik –, le photographe quadragénaire est une figure incontournable. On le voit suggérer à une jeune rappeuse de poser avec des loups. Rien d’une composition, puisque «l’œil du rap» a fait poser PLK avec un ours, a photographié un tigre pour Lacrim, et Niska a eu droit à un aigle royal, épisode «le plus flippant» parmi les shootings particuliers qu’évoque Fifou. «On a une image figée en tête au départ, mais l’aigle royal fait 1,50 m de haut, s’est approché de nous en déployant ses ailes, haletant et bavant comme un chien», déroule-t-il.

Au-delà de l’anecdote, cette mise en scène est révélatrice de la nature de son travail. Le costume de directeur artistique n’est pas loin. Il définit en amont avec les artistes et leurs équipes une charte visuelle. Qui peut être ensuite déclinée sur deux ans d’exploitation, entre album, tournée, réédition et bannières pour les plateformes musicales. Comme il peut le faire, par exemple, pour Aya Nakamura.

L’homme aux 1 000 pochettes

À l’occasion, en mai, de la première cérémonie des Flammes, récompenses françaises dédiées au rap et ses courants, Fifou est venu remettre un prix, avec son éternel chapeau à la Gene Hackman dans le film French Connection. Ce nouveau rendez-vous, soutenu par Spotify, première plateforme musicale dans le monde, au cœur de Paris dans le prestigieux Théâtre du Châtelet, a été un premier pas important pour décoller la mauvaise réputation qui colle encore trop souvent aux artistes de rap, de R’n’B, et des genres que l’on peut définir comme la nouvelle pop.

Quand il a commencé à photographier rappeurs et rappeuses, c’était pire. «On me disait : « Si tu viens à notre soirée, viens tout seul », sous-entendu sans mes amis rappeurs», se souvient-il. «Ou encore : « Ah, donc si on t’avait connu à l’école, tu nous aurais rackettés! »» Il a parfois vu défiler devant son objectif «des personnes, comment dire, avec une grosse personnalité», glisse en riant l’homme aux 1 000 pochettes d’albums, dont celles, iconiques, de PNL (Dans la légende, 2016), Booba (0.9, 2008), Kaaris (Or noir 3, 2019), Youssoupha (Noir D****, 2012), SCH (JVLIVS, 2018) ou encore Sexion d’Assaut (L’Apogée, 2012), mais lui n’a rien d’un «bad boy».

Fabrice Fournier, pour l’état civil, a grandi dans un coin sans histoires de Chelles, en région parisienne, entre une mère secrétaire et un père instituteur et directeur d’école primaire, chanteur lyrique à ses heures. Fifou est même passé par le conservatoire avant d’opter pour le graphisme, travaillant d’abord comme maquettiste ou illustrateur pour des magazines spécialisés dans le rap. On lui demande aussi de prendre des photos de presse ou d’en retoucher d’autres.

Oui à Kool Shen, non à Kendrick Lamar

La première commande de pochette arrive au milieu des années 2000. Pour un single de Kool Shen, moitié de NTM. Fifou raconte que le seul cliché qui n’était «pas flou» a donné le résultat final. L’artiste, assis, fait un doigt d’honneur à l’objectif. «C’était assez dingue, c’était la première fois pour moi avec des assistants sur un plateau, dans un studio photo renommé, avec un gros staff et une star qui voient débarquer un petit mec de 20 ans.» «Je leur ai dit tout de suite : « Les gars, je n’y connais rien à la photo. » Si ça se passe mal aujourd’hui, je saute.»

Ce premier cliché officiel, le photographe le juge «assez classique». Ce qui ne l’empêchera pas d’immortaliser, une dizaine d’années plus tard, le mythique «double fuck» de Kaaris qui donnera son nom à la mixtape du rappeur de Sevran sortie en 2015. D’ailleurs, sa première commande fut sa validation. « »T’as fait Kool Shen? » Tout le monde m’a appelé, alors que j’étais le vilain petit canard qui venait du graphisme.» Rapidement, sa réputation dans le milieu du rap dépasse les frontières de la France. Au début des années 2010, lors d’un shooting à Los Angeles, il a refusé une proposition de Kendrick Lamar, qui souhaitait travailler avec le photographe pour la pochette de son prochain album. Good Kid, M.A.A.D. City (2012) s’est immédiatement hissé parmi les disques emblématiques du hip-hop californien, mais Fifou n’en garde pas d’amertume.

Aujourd’hui, il a son studio photo avec assistants et régisseur. Les disques d’or et de platine tapissent les murs de son bureau. Une carrière bien remplie, que Fifou a parcourue dans ses Archives, titre du livre autobiographique, en textes et photos, paru l’année dernière. Récemment, Prince Waly lui a confié la pochette de Moussa. On y voit un crash de voiture avec airbag déclenché, métaphore de l’accident de la vie que raconte en chanson l’artiste, qui a été soigné d’une tumeur. Et Fifou de réfléchir aux coups de volant qu’il pourrait donner à l’avenir, entre activité actuelle, photo d’art ou documentaire.

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