Accueil | Culture | Festival d’Avignon : la toxicité au théâtre en première ligne

Festival d’Avignon : la toxicité au théâtre en première ligne


Le metteur en scène polonais Krystian Lupa a reconnu avoir «déraillé» quant à son comportement avec l'équipe technique de la pièce Les Émigrants.

À quelques jours de l’ouverture, mercredi, du festival d’Avignon, un récent conflit médiatisé a provoqué l’annulation d’une pièce. Et les professionnels sont invités à remettre en question la figure du metteur en scène.

L’image du metteur en scène tout-puissant est-elle ébranlée? Sur le plateau, on commence à s’insurger contre des artistes-créateurs jugés abusifs, comme l’a montré un récent conflit médiatisé qui a provoqué l’annulation d’une pièce prévue à Avignon. Un mois avant le début du prestigieux festival de théâtre, qui ouvre mercredi, une confrontation a éclaté entre le Polonais Krystian Lupa, grand maître du théâtre européen, et l’équipe technique de la Comédie de Genève, où devait être présentée la première de sa pièce Les Émigrants.

Le metteur en scène a reconnu dans la presse avoir «déraillé» et a présenté ses excuses, précisant être quelqu’un de «très émotionnel» et estimant que les équipes auraient dû «essayer de s’adapter» à sa «méthode de travail». Plus tard, les techniciens de la Comédie de Genève ont donné leur version, évoquant de «multiples manques de respect, réprimandes, moqueries, scènes d’ivresse et d’humiliation» du metteur en scène, qu’ils décrivent comme «mal préparé, manipulant le chantage et la menace pour se défausser de ses responsabilités».

L’affaire, rarissime dans le monde du théâtre, fait grand bruit et provoque l’annulation de cette production de plus de 900 000 euros (la plus chère de l’histoire du théâtre, selon les techniciens) à la Comédie de Genève, ainsi qu’au Festival d’Avignon, où elle était très attendue. Un début de changement d’époque?

Pour les syndicats de spectacle vivant en France, l’heure est à la remise en question. «Au Syndicat français des artistes-interprètes, on constate de plus en plus de remontées et une prise de conscience», affirme Lucie Sorin, membre de la délégation générale de la SFA-CGT. «Chez les artistes les plus jeunes notamment, mais pas que, il y a une vraie interrogation sur la figure intouchable de l’artiste-créateur. Est-il réellement nécessaire d’accoucher dans la douleur? Tout est-il excusable?», ajoute-t-elle.

«Peur d’être blacklisté»

C’est avec la libération de la parole qu’a émergé «un refus de tout accepter», précise la comédienne et militante, rappelant qu’il y a eu «des générations d’artistes formés à accepter, au nom de l’art, (…) des choses bien souvent intolérables». Toutefois, d’après elle, «tout ne sort pas, car il y encore la peur d’être blacklisté ou de nuire à sa carrière», dans un métier qui reste précaire.

La question du harcèlement moral en particulier est épineuse, des artistes-créateurs invoquant souvent la liberté artistique.  «Ce n’est pas normal de sortir d’une répétition effondré et de se dire : « Je vais arrêter ce métier. » Ou qu’il y ait une remise en question répétée des capacités professionnelles des artistes devant le reste du groupe», martèle Lucie Sorin, qui précise que cela va au-delà «d’un seul pétage de plombs une fois en répétition». Bien souvent, les témoins du harcèlement n’osent pas réagir et sont dans un «état de sidération», selon elle, propos secondés par d’autres comédiens.

«Tant que je ne vous viole pas…»

Thaïs (NDLR : le prénom a été modifié) a travaillé avec une metteuse en scène et directrice d’une structure théâtrale qui a instauré une ambiance de travail «oppressante et humiliante». «Une comédienne en est arrivée une fois à pleurer après une improvisation et à appréhender toutes les impros à venir, tellement la metteuse en scène mettait en doute en permanence ses capacités», se rappelle l’actrice.

«Un jour, elle voulait virer un groupe d’acteurs et, pour se justifier, elle nous a dit : « De toute façon, je suis une artiste et, comme un peintre dans son atelier, j’ai le droit de jeter les pinceaux contre le mur »», se souvient un autre comédien. Ce dernier rapporte encore qu’elle aurait ajouté, «en riant : « Tant que je ne vous viole pas et que je ne vous frappe pas, ça va. »»

Le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) et d’autres structures ont mis en place depuis 2022 des formations contre le harcèlement sexiste et sexuel à l’attention des directeurs et directrices de structures culturelles, dont le théâtre. Celles-ci incluent, entre autres, la présence d’un référent dans chaque structure artistique, qui peut également être à l’écoute des victimes de harcèlement moral.

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.