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[Exposition] Au hasard des chefs-d’œuvre


Michel Polfer admire le Portrait de William Nii Nortey Dowuona de Franz von Matsch, «l’acquisition récente la plus importante» du MNAHA, selon le directeur. (Photo : julien garroy)

Des chefs-d’œuvre sont réunis pour «Collections/Revelations», la nouvelle exposition permanente du MNAHA, soucieux de dédier un espace à ses pièces et ses récentes acquisitions.

Perchée dans une galerie flambant neuve au dernier étage du MNAHA, l’exposition «Collections/Revelations» a de quoi rendre fiers ses deux commissaires : «Depuis que Lis Hausemer et moi-même avons commencé à travailler ici, cet espace d’exposition a toujours été fermé au public, de sorte que nous n’avions jamais vu une exposition s’y dérouler», se souvient Ruud Priem, conservateur pour le volet Beaux-Arts du MNAHA.

Ce qui n’est pas tout à fait vrai : d’avril à octobre 2022, l’espace aujourd’hui réservé à la collection du musée et ses nouvelles acquisitions avait accueilli les œuvres du peintre russe dissident Maxim Kantor, pour une expo improvisée dans des salles en travaux, en réponse à l’invasion russe de l’Ukraine. Désormais parfaitement rénovées, les salles de la dernière galerie du bâtiment abritent dès aujourd’hui cette exposition permanente et gratuite, qui vise à rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres majeures dans la collection du musée, avec l’accent mis sur les dernières acquisitions.

Des œuvres «que le public a rarement l’occasion de voir»

Ce sont une soixantaine d’œuvres qu’expose le musée, du Portrait de famille (vers 1860-1870) du peintre français Jean Bonier, impressionnant de réalisme, à l’autoportrait d’Erwin Olaf (2020), l’une des dernières œuvres du photographe décédé en septembre dernier – trois mois après la fin de l’exposition qu’il a donnée avec Hans Op de Beeck au MNAHA – après une longue bataille contre un emphysème pulmonaire.

Si certaines œuvres ont déjà été vues dans les galeries du musée (celles d’Olaf et d’Op de Beeck, donc, mais aussi celles de Chirico, Patrick Caulfield, Alfred Manessier ou Alfred Seiland), l’exposition est composée à un tiers d’acquisitions récentes, faites depuis 2020, et fait tout de même la part belle à «ce que le public a rarement l’occasion de voir», glisse Michel Polfer, directeur de l’institution. Et à ce qui risque aussi d’attirer plus facilement les visiteurs, à commencer par le Paysage de Cannes au crépuscule peint en 1960 par Picasso, une gouache de Magritte, une toile de Pierre Soulages ou les portraits impressionnants (et impressionnistes) de Théophile van Rysselberghe.

Chaos d’hier et d’aujourd’hui

Afin de naviguer plus aisément à travers cette forêt d’œuvres aux styles, formats et périodes radicalement différents, le MNAHA procède à un «accrochage thématique» en cinq chapitres : «Chaos», «Faces», «Nature», «Forms & Shapes» et «Colours». Et la présence dans le «line-up» de travaux signés Tina Gillen, Su-Mei Tse, Hisae Ikenaga ou encore Michel Majerus apporte la saveur locale : «Cette poignée d’artistes luxembourgeois, il était important de la faire dialoguer avec les travaux d’artistes internationaux», souligne Ruud Priem.

Dans l’étroitesse du premier couloir, le «chaos contemporain» de Michel Majerus trône parmi des représentants de la «nouvelle École de Paris» (Jean Dubuffet, Natalia Dumitresco, Roger Bissière…), réalisés quatre à cinq décennies avant le Majerus. Le MNAHA a souvent montré son intérêt pour cette période de l’après-guerre, et Lis Hausemer rappelle que le musée possède une «grande collection» d’œuvres du mouvement artistique français.

Dans la salle dédiée aux formes et silhouettes, l’extravagante porte peinte sur un petit format par René Magritte se tient face à Plague and Cholera (2014), du duo Martine Feipel et Jean Bechameil, soit une véritable porte conçue sur le même modèle de lignes brisées et d’architecture impossible. Le Bouledogue (1930) en bronze de François Pompon trouve un écho chez l’éléphant peint par Tina Gillen dans Monument Under Construction (2002); les photos de nature inversées de Su-Mei Tse poursuivent la vision «utopique-dystopique» de Paris par Bert Theis…

Matsch, Klimt et le prince inconnu

Avec une organisation thématique de son exposition permanente, le MNAHA entend également sortir du formalisme inhérent aux déambulations des visiteurs dans le musée pour jouer avec les œuvres et les points de vue. Ainsi, la maquette d’Exchange (1996), l’œuvre monumentale de Richard Serra dressée sur le rond-point du Kirchberg, entre en dialogue avec chacune des œuvres accrochées sur les quatre murs qui l’entourent.

Le Portrait d’un tigre (1961) de Charles Lapicque, qui accueille le visiteur est, lui, un jeu sur «les statues de lions qui ornent l’entrée des bâtiments», dit Ruud Priem. Mais les choix d’accrochage, certes ludiques, se montrent parfois plus surprenants, à l’image des portraits conceptuels de migrants érythréens signés Aida Silvestri en 2013, qui accueillent le visiteur dans une salle entièrement dédiée – à l’exception de ces deux tirages photographiques, donc – à des portraits datant de la fin du XIXe au début du XXe siècle.

«Collections/Revelations» comprend un bel assemblage de chefs-d’œuvre qui, de La Terrasse n° 5 (1989) de Jacques Monory au Bertil (vers 1925) d’Owe Zerge, ont de quoi rassasier. Mais la pièce maîtresse – «l’acquisition récente la plus importante» du musée, dixit Michel Polfer – reste ce qui, au départ, a été acheté comme un «portrait d’anonyme» de Franz von Matsch. L’artiste autrichien, ami de Gustav Klimt, a peint en réalité un prince et guerrier ghanéen, William Nii Nortey Dowuona. «Lui et certains de ses hommes ont été exhibés au zoo humain de Vienne en 1871», explique Ruud Priem, qui a mis en lumière l’histoire derrière le tableau, «digne d’un film» : «Klimt et Matsch ont réalisé chacun un portrait du prince William, assis l’un à côté de l’autre, utilisant la même palette». Mais du Klimt, perdu, il ne reste qu’une image de l’œuvre, peinte en léger profil. «On ne désespère pas qu’il refasse surface un jour. Mieux : qu’il trouve sa place à côté de ce portrait», conclut, rêveur, le conservateur.

Exposition permanente. MNAHA – Luxembourg.

Steichen comme on ne l’a jamais vu

Avant «Collections/Revelations», l’autre grande exposition permanente du volet Beaux-Arts du MNAHA était celle dédiée à Edward Steichen. La collection Steichen s’est encore agrandie et est aujourd’hui la première collection publique au monde des travaux du photographe américain d’origine luxembourgeoise. Pour l’occasion, et toujours dans l’idée de montrer ses dernières acquisitions, le MNAHA débute aujourd’hui une autre exposition, «From Aerial Views to Pink Suits», qui promet de montrer Steichen comme on ne l’a jamais vu.

À travers des photos rares remontant aussi loin que l’année 1900, on découvre deux facettes méconnues de Steichen : le photographe militaire, major et chef de la section photo des forces expéditionnaires américaines, qui témoigne de la destruction des villes de l’est de la France par ses vues aériennes; et le portraitiste photographiant les célébrités et intellectuels, dans des clichés sublimes détenus jusqu’à récemment par la galerie Clairefontaine.

Outre les 42 photos de Steichen qui viennent d’entrer dans la collection du musée, 49 clichés, autrement plus rares, ont Steichen pour sujet. Ce sont les séries très rares de Bruce Davidson – le photographe de Magnum, pour sa première mission, était parti «shooter» un Edward Steichen octogénaire pour un profil dans Vogue, dont le MNAHA présente ici la quasi-totalité des photos –, de Wayne Miller et, surtout, de Robert Elfstrom, documentariste et voisin venu prendre 35 clichés du photographe à son domicile en 1973, peu avant la mort de Steichen. La pellicule n’avait jamais été développée et les tirages sont visibles pour la première fois au monde dans cette exposition qui se tiendra jusqu’au 16 juin.

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