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elBulli, le «gastro» devenu musée


Le temps semble suspendu. (photo AFP)

Douze ans après sa fermeture, le célèbre restaurant espagnol elBulli, longtemps considéré comme l’un des meilleurs au monde, rouvre ses portes sous la forme d’un musée dédié à la révolution culinaire menée par son chef, Ferran Adrià.

Niché dans une crique de la commune de Roses, sur la Costa Brava, à quelques encablures de la frontière française, le musée elBulli1846, qui ouvrira le 15 juin, a été baptisé ainsi en référence au nombre de créations culinaires du temple de la haute gastronomie triplement étoilé par le guide Michelin en 1997 et qui a fermé ses portes en 2011. «Il ne s’agit pas de venir manger, mais de comprendre ce qu’il s’est passé» dans ce laboratoire de la cuisine moléculaire, explique le chef emblématique du restaurant elBulli, Ferran Adrià, 61 ans, assis à deux pas de ce qui fut sa cuisine durant plus de 25 ans. Les plats s’y dégustent toujours, donc, mais avec les yeux.

Onze millions d’euros investis

À l’intérieur du restaurant, le temps semble avoir été suspendu. Une déambulation de plus de deux heures permet au visiteur de découvrir des centaines de photos, schémas, maquettes, carnets, livres et trophées. Et, cerise sur le gâteau, des reproductions – selon la technique japonaise du «shokuhin sampuru» qui utilise plastique ou résines – de plats qui ont fait la renommée avant-gardiste d’elBulli. «Nous avons cherché les limites de l’expérience gastronomique. Les limites physiques, mentales et même spirituelles de l’être humain. Cette quête a ouvert la voie à d’autres», se félicite le chef. La fondation créée pour préserver son héritage a investi 11 millions d’euros dans ce musée, dont le projet d’agrandissement initial avait suscité l’opposition de groupes écologistes.

Ferran Adrià se souvient encore du jour où, en 1983, il a emprunté pour la première fois le chemin de terre sinueux qui reliait alors le village de Roses au restaurant, baptisé elBulli en référence à la passion de sa propriétaire pour les bouledogues français. Venu sur les recommandations de l’un de ses camarades du service militaire, Adrià avait prévu de n’y rester que le temps d’un stage. Il deviendra quatre ans plus tard le chef de l’établissement, disposant alors d’une étoile Michelin, et finira par le racheter en 1990 avec son associé, Juli Soler, mort en 2015. «La chose la plus importante qui me soit arrivée à elBulli, c’est que, pour la première fois, j’y ai vu la passion de la cuisine. À table, lorsque nous mangions en équipe, nous ne parlions pas de football, pas de nos week-ends, nous parlions de cuisine», se souvient celui qui, enfant, rêvait de suivre les traces de son idole, Johann Cruyff, l’attaquant néerlandais du FC Barcelone.

Adrià n’a pas fait que des adeptes

Des centaines de cuisiniers – dont les futures stars René Redzepi, José Andrés ou Andoni Aduriz – ont fait leurs armes parmi l’équipe de 70 personnes assurant, six mois par an, une cinquantaine de couverts à chaque service, sans vouloir plaire à tout prix aux clients venus du monde entier. «Le concept d’aimer (les plats) quand on fait une cuisine d’avant-garde est très complexe», explique Ferran Adrià, qui voulait que ses créations provoquent «choc après choc», mais aussi une «réflexion» sur le goût.

Héraut de la cuisine moléculaire, Adrià n’a pas fait que des adeptes, notamment parmi les puristes. Mais n’a jamais été dissuadé de repousser ses limites. Et de les trouver en 2011, à la fermeture du restaurant, initialement annoncée comme temporaire, avec une réouverture prévue en 2014, pour fêter à la fois les cinquante ans de l’établissement et les trente ans de Ferran Adrià dans ses cuisines. Un double anniversaire qui n’aura jamais lieu. «J’étais certain que nous faisions bien de fermer. Nous avions atteint ce que nous considérions comme l’expérience de satisfaction ultime. Une fois ce but atteint, nous nous sommes dit : « Pourquoi continuer si notre mission était de chercher les limites? »», raconte le chef.

Il a depuis troqué le tablier blanc pour un t-shirt noir et compte bien laisser sa toque au placard, arguant sans vanité qu’il lui serait «impossible» de répéter ses exploits. «Quand les convives venaient, c’était un choc, aujourd’hui ce ne serait plus pareil», ajoute-t-il. Mais il affirme soutenir ceux qui continuent de chercher les limites, «car s’il n’y avait pas ces trois, quatre ou cinq personnes dans le monde qui les cherchent, tout s’arrêterait».

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