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[Album de la semaine] Dernière station pour Shellac


Shellac To All Trains

Sorti le 17 mai

Label Touch and Go Records

Genre noise / rock

Comme souvent, un disque de Shellac s’accompagne de précautions d’usage, rappelant que le trio, depuis sa création au début des années 1990, s’est toujours méfié des pratiques malveillantes de l’industrie musicale, prompte à se faire de l’argent sur le dos des artistes, même les plus fauchés.

Annoncée en mars, cette sixième production annonçait ainsi ses intentions, dans un énième bras d’honneur aux pratiques habituelles du milieu : elle ne fera l’objet «d’aucune promotion officielle», peut-on lire sur une note détaillée. Comprendre pas la moindre publicité «à la radio», ni «dans la presse», ni sur «internet». Mieux, elle ne sera pas déclinée en «goodies» et, dans un dernier clin d’œil sarcastique, elle ne donnera pas accès à des «repas gratuits»…

Malgré ce ménagement, To All Trains va connaitre un battage médiatique sans précédent pour une raison qui lui a échappé : dix jours avant sa sortie, le 7 mai, Steve Albini, 61 ans, son leader, mourrait d’une crise cardiaque. Lui qui aimait les mauvaises blagues a été servi.

Une disparition qui dépasse le cadre réduit du groupe de Chicago, et touche tous les amateurs de rock brut et intransigeant, au moins autant que l’a été le personnage. Parmi ses faits d’armes connus, il y a les enregistrements de trois albums majeurs, coincés entre deux décennies : le premier disque des Pixies (Surfer Rosa, 1988), le second de PJ Harvey (Rid of Me, 1993) et quelques semaines après, le dernier de Nirvana (In Utero).

Bien évidemment, après 35 ans à user les sièges et les amplis de son Electrical Audio, la liste s’étale et les noms s’égrainent : Slint, Mogwai, The Ex, The Jesus Lizard, The Breeders, Robert Plant et Jimmy Page… Sans oublier certaines pépites du rock hexagonal (Sloy et les Thugs en tête). Au-delà des comptes, il y a aussi l’attitude d’un homme qui, dans son bleu de travail de circonstance, préférait qu’on le considère comme un «ingénieur du son» et non comme un «producteur» (refusant au passage toute retombée financière de son travail).

Le même qui, enfin, privilégiait les enregistrements analogiques et en live, afin de garder cette énergie et cette puissance, sa marque de fabrique (et aussi parce que, selon lui, «si un disque prend plus d’une semaine à se faire, c’est que le groupe n’était pas prêt»).

Une philosophie qui l’a suivi dans ses propres projets, que l’on évoque son premier amour (Big Black) ou l’éphémère Rapeman. Et bien sûr Shellac, complété de deux camarades qui lui ressemblent : le bassiste Bob Weston et le batteur Todd Trainer.

En effet, ces trois-là partagent la même passion pour les studios, la technique, la scène, le public (qu’ils invectivent régulièrement), le «DIY» («Do It Yourself») et les sons sans compromis, comme en témoigne une solide discographie entamée avec l’incontournable At Action Park (1994) et qui depuis, n’a connu aucun moment de faiblesse.

Mis en boîte de manière sporadique entre 2017 et 2022, au gré des pauses entre les tournées et d’autres projets à achever, To All Trains met ainsi fin à dix années de silence (le dernier disque du trio, Dude Incredible, remonte à 2014). Sur dix titres condensés en 28 minutes, Shellac ne change pas sa recette gagnante : avec lui, pas de compromis, ni de complaisance.

Juste cette guitare aiguisée au couteau, cette basse entêtante et cette batterie implacable. Avec eux, les motifs et les rythmes se mêlent, s’emboîtent et se répètent comme dans une grande machinerie industrielle, infaillible malgré l’âge et la rouille. De quoi regretter d’autant plus que l’aventure s’arrête de manière si brutale.

Reste, pour finir, cette chanson qui conclut un album court et musclé, sûrement l’ultime de Shellac. Comme dans un symbole, I Don’t Fear Hell se termine sur un tout dernier riff de guitare, qui s’étire jusqu’à la cassure.

Que dire alors de ces paroles, qui sonnent aujourd’hui de façon particulière : «When this is over / I’ll leap in my grave like the arms of a lover / If there’s a heaven, I hope they’re having fun / Cause if there’s a hell, I’m gonna know everyone («Quand ce sera fini / Je sauterai dans ma tombe comme dans les bras d’un amant / S’il y a un paradis, j’espère qu’ils s’amusent / Car s’il y a un enfer, je connaîtrai tout le monde). Où qu’il soit, Steve Albini mérite bien une dernière révérence.

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