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[Danse] Dans les pas des migrants au Trois-CL


"LEAVE..." : trois danseurs (Piera Jovic, Georges Maikel, Julie Barthélémy) qui cassent la frontière existant entre le spectateur et les artistes. (photo Bohumil Kostohryz)

Autour du thème de la migration, deux pièces en cours de création et aux esthétismes différents abordent le corps en mouvement dans une idée de survie. À découvrir lors d’un «3 du Trois» spécial début 2018.

Il y a, au départ, un appel à projets autour de la notion de migration – thème d’ailleurs à la mode dans le milieu artistique, quand ce ne sont pas les migrants eux-mêmes qui grimpent sur scène, dans une volonté évidente d’intégration. Pour le coup, après «6-7 dossiers encourageants», c’est une partie de la «petite famille du Trois-CL» qui s’active maintenant depuis quelques semaines autour d’une double proposition, encore inaboutie. Si les deux pièces seront prêtes seulement début 2018, pour un «3 du Trois» spécial, mardi à la Bannanefabrik, danseurs et chorégraphes ont offert un aperçu de ce «work in progress».

D’abord LEAVE…, pièce créée par le couple Beaumont-Gohier dans une approche large de la question. «Comme on est pragmatique, on a ouvert le dictionnaire !», témoigne cette dernière. Avec leurs trois danseurs, il dégagent quelques notions porteuses : «déplacement», «franchissement», «nostalgie»… «On s’est imposé une vision plus globale : ça serait réducteur, en effet, de ne parler que d’une migration forcée, par les guerres ou les crises politiques.»

Ici, on est donc au Luxembourg – «à l’époque, pays d’émigration, aujourd’hui pays d’immigration» – en compagnie des expatriés, comme les occupants de tentes de fortune au hall 6 de Luxexpo. Et pour mieux comprendre cette sensation de déracinement, cette performance réclame au public de quitter ses repères traditionnels pour se laisser embarquer dans une nouvelle expérience en perpétuel mouvement.

«On emmène le spectateur dans une migration, un déplacement dans l’espace», concède-t-elle, vite relayée par son compagnon. «La scène est un espace connu. Mais quand on casse les codes, que le public n’est pas assis confortablement, il en ressort une situation de malaise», terreau, selon lui, d’un meilleur entendement. Les danseurs, transpirant et haletant, chutant ou cherchant des appuis, poussent le public à sortir de sa «zone de confort» – tout comme on l’est quand on émigre dans un nouveau pays – et quittent aussi la leur… «C’est un vrai challenge !», lâchent-ils.

«Tout le monde me dévisageait !»

De son coté, Art. 13 ne casse pas les frontières scéniques. Ici, point de musique légère à base d’oud, mais, au contraire, une electro tribale et puissante, qui atteste de la volonté de la metteuse en scène, Sandy Flinto, d’entrer dans le vif du sujet. «S’il y a différents types de migration, celle tristement médiatisée n’est pas forcément plus évidente que d’autres. Ceux qui ne sont pas dans une urgence première, vitale, n’en souffrent pas moins. Il y a un revers de la médaille pour chacun.»

Ainsi, avec là aussi trois danseurs, les mains contre le mur et les pieds écartés, immobiles devant les commentaires crachés en boucle par une radio, la pièce aborde, parfois avec humour – comme lors de ce refrain chanté, «Sous l’océan», qui parle de lui-même – tout ce qu’implique un exil, du terrorisme à la prostitution en passant par l’esclavagisme. Le tout, donc, dans un face-à-face «classique». Mais c’est plutôt au niveau de la préparation que le jeune collectif a fait très fort…

Sandy Flinto : «Pour notre première rencontre, je leur ai demandé de venir à la salle de répétition avec leurs habits d’hiver et un sac à dos rempli avec toutes leurs chaussures. Avec, interdiction, bien sûr, d’utiliser leur téléphone.» Rappelons que l’on est le jour de la fête nationale, dans la touffeur du tout début de l’été. Le danseur Giovanni Zazzera s’en souvient bien : «J’avais, en plus, une grosse barbe et des lunettes. Tout le monde me dévisageait !»

Il en retiendra une «leçon», essentielle pour cet Art. 13 : «Comment un lieu habituel – un train, une gare – devient soudainement inconfortable. Sous les regards des autres, on se sent étranger… chez soi.» Après une autre séance singulière de piscine – «on a plongé avec nos habits, afin de travailler sur la mémoire du corps et faire émerger les mouvements», dixit Pierrick Grobéty, l’homme au son – la troupe sait que ça n’est «que» du spectacle. «La fiction n’arrive jamais à la hauteur de la réalité», spécifient-ils d’une même voix. Ces danseurs et chorégraphes venus du Portugal, Belgique, Suisse, Italie, France et Cap-Vert savent de quoi ils parlent, portant en eux leur propre histoire.

Grégory Cimatti

Banannefabrik – Luxembourg. Mardi 3 et mercredi 4 janvier à 19h.

LEAVE… et Art. 13 sont à découvrir lors d’un spécial «3 du Trois». Les deux soirées sont payantes.

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