Artiste prolifique, le peintre vénézuélien, décédé en 2014, est à la tête d’une production de quelque 4 000 œuvres. À l’occasion du centenaire de sa naissance, un catalogue retrace sa création, qui s’observe aussi au cœur de son atelier. Visite.
Une table comme palette : Oswaldo Vigas (1923-2014), dont l’abondante œuvre s’expose dans les musées et galeries du monde entier, mélangeait ses couleurs directement sur le meuble de son atelier de Caracas. Au fil des années, les couches de peinture se sont empilées pour atteindre plusieurs centimètres. Autour de la table de travail, dans cet atelier toujours intact que la famille a récemment ouvert, trois tableaux sont installés sur des chevalets. L’un est une magnifique crucifixion «pop» verte et rose avec les formes caractéristiques de Vigas.
Il s’agit d’une de ses dernières peintures, selon son fils, le réalisateur Lorenzo Vigas, Lion d’or de Venise avec Les amants de Caracas (2015). «On n’a touché à rien. On l’a laissée comme c’était» avant sa mort, explique-t-il. À l’image de Picasso, dont une photo avec Vigas est accrochée à un mur, le peintre vénézuélien était un forcené du travail et a connu des périodes différentes, changeant parfois radicalement de style. «Il travaillait la nuit jusqu’à cinq ou six heures du matin. Il se levait tard. La nuit, c’était pour son art», dit Lorenzo Vigas.
4 000 oeuvres
Le catalogue raisonné, lancé cette année pour le centenaire de sa naissance, permet de retracer la carrière prolifique de Vigas. Seize ans de travail ont été nécessaires pour recenser les 4 000 œuvres de l’artiste qui «peignait, peignait, et peignait encore!» Ce catalogue est une première pour un peintre vénézuélien. Ainsi, il n’en existe pas de complets pour les célèbres Carlos Cruz-Diez, Jesus Soto, Armando Reveron ou encore Manuel Cabré.
«On n’aurait pas pu le faire sans lui. Mon père était un artiste très ordonné, qui a accumulé pendant toute sa vie les informations sur les œuvres qu’il vendait», souligne son fils. Cela a permis à la fondation Oswaldo Vigas de recenser sa production dans le détail. Le catalogue, disponible gratuitement sur le net, va permettre de mieux diffuser son œuvre dans le monde, mais aussi de lutter contre les innombrables contrefaçons de l’artiste dont les tableaux se vendent parfois en centaines de milliers de dollars.
L’atelier permet aussi de comprendre la vie du peintre. Un grand espace accueillait ses nombreux visiteurs. «C’était un animal social. Il avait besoin de voir des gens», rappelle Lorenzo. Janine, sa veuve française de 87 ans, se souvient «des fêtes et des concerts. Beaucoup, beaucoup de monde venait.» Sur les murs, des photos rappellent cette vie très active. Pour chacune d’elles, Janine, que Vigas a rencontrée lors de sa période parisienne dans les années 1950-60, a une anecdote.
«C’était une belle époque. On s’amusait beaucoup !»
Elle raconte l’image de Picasso torse nu et de son mari, qui est antérieure à leur passion : «Tous les artistes sud-américains rêvaient de rencontrer Picasso. Oswaldo a conquis sa fille Maya (décédée en décembre 2022). Maya s’est amourachée d’Oswaldo et il a pu la convaincre» de l’aider à le rencontrer, dit-elle. Le peintre colombien Fernando Botero, le Cubain Wifredo Lam, le critique français Gaston Diehl sont aussi sur les murs.
Janine évoque alors avec nostalgie une image parisienne : Vigas jouant des maracas derrière les autres peintres vénézuéliens Jesus Soto à la guitare, Elbano Mendez Osuna à la mandoline et Jesus Hurtado. «C’était une belle époque. On s’amusait beaucoup!», dit-elle. Dans l’autre pièce de l’atelier, une impressionnante collection d’art précolombien et de masques africains. Encore un point commun avec Picasso.
«À l’époque, on pouvait acheter des choses aux puces» de Saint-Ouen à Paris, dit Janine. «On venait aussi lui proposer des œuvres. Il me disait : « T’as vu comme c’est beau? Combien il nous reste d’argent? » Et il finissait presque toujours par acheter.» «Il était obsédé par la volonté d’être entouré d’œuvres du passé. Mon père est le premier Vénézuélien qui a pu faire une œuvre contemporaine tout en prenant des éléments « primitifs » du pays», assure Lorenzo, évoquant notamment la série des Brujas (sorcières) qui constitue une partie charnière de son œuvre.
Un grand voyageur
Originaire de Valence, «mon père a voyagé dans tout le pays cherchant le Venezuela préhispanique, les pétroglyphes (dont certains visibles au musée de Caracas). Il est allé voir les peintures que les Amérindiennes se faisaient sur le visage… Ç’a été déterminant. Il a rencontré ses racines. C’est après ce voyage qu’il a commencé à développer son œuvre qui était contemporaine mais sortait du passé», estime Lorenzo.
Ce dernier explique encore le retour de Vigas après une douzaine d’années fructueuses en France par cette «connexion avec sa terre qui était très forte. Il avait besoin d’être ici pour créer.» Aujourd’hui, la fondation tente de mieux faire connaître Oswaldo Vigas. «Comme mon père ne s’est jamais intéressé à la promotion de son œuvre de son vivant, cette promotion nous revient», dit Lorenzo. «Mais c’est émouvant de voir qu’il y a des gens qui découvrent et se passionnent pour lui.»