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[Critique série] «Citoyens clandestins», trois personnages en quête d’identité


Lætitia Masson avait fait d’Isabelle Adjani sa femme fatale aux identités multiples dans le polar romantique La Repentie (2002), d’après un roman court de Didier Daeninckx; puis elle a transposé Christine Angot sous un angle méta avec Pourquoi (pas) le Brésil? (2004).

La réalisatrice française, qui aime décidément le défi imposé par des auteurs ou romans réputés inadaptables à l’écran, revient en minisérie (sa troisième pour ARTE) avec Citoyens clandestins : une relecture de la fresque antiterroriste publiée en Série noire et qui avait valu le Grand Prix de littérature policière à DOA. L’auteur, qui écrit sous pseudonyme, s’est reconverti dans le polar fiévreux après une première vie de militaire, autour de laquelle flotte le mystère. Mais qui se retrouve dans les intrigues du Lyonnais, brillant raconteur de la face cachée du crime – celle qui implique les hautes sphères de l’État et leurs manœuvres sous les radars.

Une minisérie qui joue l’épure, moins par manque de moyens que pour déplacer le regard sur le film d’espionnage

Les Citoyens clandestins du titre sont Fennec (Gringe) et Lynx (Raphaël Quenard) : l’un est espion infiltré dans un groupe terroriste, l’autre un dangereux mercenaire. On est en 2001, à quelques mois des élections présidentielles françaises, dans un climat de montée de l’extrême droite et de paranoïa généralisée; et alors que deux avions détournés s’apprêtent à percuter les tours new-yorkaises du World Trade Center, les services secrets français cherchent deux barils d’un produit toxique, achetés par l’État et perdus en Syrie, qui pourraient servir à un attentat au cœur de Paris. C’est au même moment qu’Amel (Nailia Harzoune), une reporter «lifestyle» rêvant d’investigation, assiste un vieux renard de journaliste politique, Rougeard (Pierre Arditi), pour une dangereuse enquête sur l’islamisme radical.

Le caractère inadaptable du roman est une nouvelle fois prétexte pour Lætitia Masson à un exercice de style rafraîchissant. Partie d’un imposant pavé qui amène le lecteur dans les tréfonds de la capitale française jusqu’aux hautes sphères politiques via la Syrie et l’Afghanistan et pullule de personnages, la réalisatrice joue l’épure. Moins par manque de moyens (quoiqu’on n’adapte pas fidèlement ce livre sans un budget hollywoodien) que pour déplacer légèrement le regard sur le récit. En ramenant 700 pages à moins de quatre heures, la minisérie ne se veut pas électrique comme le roman, mais aussi tendue; et si elle ne peut être épique, elle n’en est pas moins dense.

L’angle retenu ici est semblable à un récent chef-d’œuvre du film d’espionnage, Tinker Tailor Soldier Spy (Tomas Alfredson, 2011) et sa chasse à l’homme laissant l’action et la violence hors champ. Si les deux protagonistes masculins de Lætitia Masson voguent au cœur du danger, tout se joue chez les hommes en costumes, à la tête des différents services, sous-services et services sous-marins de renseignement de l’État. Ce sont eux qui ont le pouvoir d’influencer le destin de ces antihéros pris au piège de ne plus pouvoir contrôler leur vie. Eux qui décident, aussi, de leurs prochains mouvements. Et plutôt que de s’attarder sur Lynx maquillant un de ses nombreux assassinats ou sur Fennec lisant encore et encore le Coran tandis qu’il gagne la confiance des terroristes, ce sont les états d’âme de ces rouages du système, à la marge ou en bas de la pyramide du pouvoir, que veut mettre en lumière la réalisatrice.

En répondant aux codes du film d’espionnage par une certaine tradition du feuilleton français, Citoyens clandestins, la minisérie, s’intéresse d’abord à son trio de personnages. D’un côté, un «barbu» : le rappeur Gringe est époustouflant dans son personnage d’espion en survêt-casquette, conscient qu’un piège se referme sur lui mais empêché de laisser s’exprimer ses émotions. De l’autre, un «barbouze» : l’omniprésent Raphaël Quenard, toujours excellent, surprend une nouvelle fois, tantôt en costume et lunettes à la Clark Kent, tantôt en machine de guerre cagoulée. Il est l’incarnation de la violence d’un système qui veut se protéger à tout prix de ses méfaits. En apparence dénué d’humanité (ce qu’encourage son chef, sèchement joué par Frédéric Pierrot, le psy d’En thérapie), Lynx se rattache au monde par les souvenirs d’une vie perdue, la poésie de Baudelaire et une relation pseudo-amoureuse avec Amel, la même journaliste qui fouine dans ses secrets et qu’il surveille de près… Idéaliste et malheureuse en mariage, elle représente pour lui, sans doute, une idée du monde libre. Tous les éclats poétiques de Lætitia Masson, le long de ces quatre épisodes, ne sont pas aussi subtils, mais tous servent superbement le propos de la cinéaste : redonner à ces citoyens clandestins leur identité, du moins en partie, celle à laquelle ils ont renoncé «pour la France».

 

Citoyens clandestins

de Lætitia Masson

Avec Nailia Harzoune, Gringe, Raphaël Quenard…

Genre thriller / espionnage

Durée 4 x 52 mn

ARTE

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