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[Critique ciné] The Farewell, «petit» mensonge en famille


La famille, sujet ô combien porteur quand on évoque les non-dits, les petites trahisons, l’hypocrisie, les sourires de façade… (capture YouTube)

«Pour toi, la vie appartient à un individu. Mais la culture chinoise voit les choses différemment. Ici, la vie est l’affaire d’un groupe : la famille.» Voilà une phrase clé, lâchée par l’un des protagonistes du film, qui synthétise bien la trame narrative de The Farewell, l’un des films de 2019 remarqués aux États-Unis – il a été dévoilé à l’occasion du festival de Sundance – et qui, en ce début d’année, réchauffe les cœurs engourdis.

Pour sa seconde réalisation (après Posthumous, 2014), Lulu Wang signe là une chronique familiale sur le choc des cultures, à travers l’histoire d’une grand-mère chinoise atteinte d’un cancer incurable, à qui sa famille cache la vérité. «Basé sur un mensonge réel», sort même, en guise d’appât et de slogan, la cinéaste sino-américaine qui donc a connu pareil décalage durant sa propre jeunesse. Une démonstration autobiographique largement dispensable, le film tenant debout tout seul, sans artifice promotionnel.

Alliant comédie et drame, cette production américaine – que la réalisatrice, 36 ans, raconte avoir eu du mal à financer car le film était essentiellement en chinois et ne comportait pas de personnage central blanc – suit Billi, une jeune fille qui a émigré avec ses parents aux États-Unis. Cette dernière, incarnée par la rappeuse Awkwafina (de son vrai nom Nora Lum, également vue dans Ocean’s 8, Jumanji : Next Level, Crazy Rich Asians), apprend que sa grand-mère chinoise, à laquelle elle est très attachée, est condamnée par la maladie. Sa famille décide de lui cacher la vérité, selon la tradition chinoise – conformément à certaines croyances, cette décision lui permettrait en effet de trouver la paix – et de prendre prétexte du mariage de son petit-fils pour tous se réunir autour de cette grand-mère, un mensonge pesant pour Billi…

Inconditionnelle du cinéma de Mike Leigh, Lulu Wang pose son film sur deux, voire trois éléments essentiels : d’abord la famille, bien sûr, sujet ô combien porteur quand on évoque les non-dits, les petites trahisons, l’hypocrisie, les sourires de façade… Dans une approche chorale, la réalisatrice refuse toutefois le formidable effet cathartique de la vérité, abordé dans la plupart des films où les secrets familiaux sont au centre de l’histoire. Bien au contraire, elle s’amuse brillamment avec les décalages, que l’on évoque le fossé (et l’incompréhension) intergénérationnel ou encore, par extension, la manière dont on exprime notre amour, en fonction de notre culture et de notre personnalité. «Des différences qui peuvent générer beaucoup de malentendus», soutient-elle, enthousiaste.

Une jolie histoire qui sent bon le vécu

The Farewell est aussi une question d’entre-deux. En premier lieu, celui entre l’Orient et l’Occident, avec cette approche bien distincte de la mort, mais également à travers la délicate posture dans laquelle se trouve l’héroïne, qui a du mal à s’agripper à l’existence, à cette vie qu’elle a été contrainte de délaisser à l’âge de 6 ans. Un déracinement qui la questionne : suis-je américaine ou chinoise ?

D’autres allers-retours se rajoutent à cette palette – mariage-décès, vérité-mensonge, famille-rivaux, intime-universel – qui trouvent tout leur sens dans cette scène où un jeune médecin chinois qui a étudié en Angleterre parle à la famille en anglais, du cancer de la grand-mère assise juste à côté, qui ne comprend rien mais à qui on explique en chinois que tout va bien…

Enfin, le film est un beau révélateur du talent d’Awkwafina qui, même si son nom ne figure pas sur la liste des prochains Oscars, s’est emparée, en début d’année, du Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie ou un film musical. Connue pour sa gouaille très new-yorkaise, l’actrice de 31 ans livre, dans ce film, une interprétation nuancée et tout en retenue. Un peu à l’image de Lulu Wang qui, à travers The Farewell, n’a à aucun moment cherché à en faire trop, ni tomber – on la remercie – dans un sentimentalisme trop prononcé. C’est certes illustratif, et sans rebondissements, mais au final, le film se reçoit comme il est : une jolie histoire qui sent bon le vécu et qui est racontée le plus honnêtement possible.

Grégory Cimatti

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