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[Critique ciné] «È stata la mano di Dio», Naples selon saint Paolo


È stata la mano di Dio

de Paolo Sorrentino

Avec Filippo Scotti, Toni Servillo, Teresa Saponangelo, Lusa Ranieri…

Genre comédie dramatique

Durée 2 h 10

Ne te désunis pas, Fabietto», tel est le conseil – l’ordre? – intimé par le réalisateur Antonio Capuano au jeune héros. Alors Paolo Sorrentino, vingt ans après ses débuts seul derrière la caméra et pour son neuvième film, se réunit, se rassemble, renoue avec son passé et ses souvenirs. Le cinéaste italien a filmé Naples pour la dernière fois dans L’uomo in più (2001), son premier long métrage qui suivait le triste destin croisé de deux hommes, l’un footballeur, l’autre chanteur, qui portent le même nom. Une tragédie en miroir d’hommes seuls, mais pas solitaires, dans laquelle Sorrentino transforme la rage et le désespoir en poésie. Et revient au même procédé pour È stata la mano di Dio, avec une différence : en lieu et place des deux Antonio Pisapia de son premier film, Sorrentino ne filme ici que le double de fiction. L’original, c’est le cinéaste lui-même, qui dirige un récit entre regard vers le passé et espérances futures, tout en dressant la cartographie d’une Naples magique.

Au fil des vingt dernières années, Paolo Sorrentino est allé tourner sur les routes des États-Unis (This Must Be the Place, 2011) et dans les Alpes suisses (Youth, 2015); surtout, il a été celui qui a redonné ses lettres de noblesse à la Rome cinématographique, capturant avec la même intensité sa beauté stupéfiante (La grande bellezza, 2013) et ses profonds secrets (la série The Young Pope; Il divo, 2008). Dans ses yeux, la capitale italienne est la ville de la splendeur, de l’artifice, du rêve; ce n’est peut-être même pas l’Italie, plutôt une idée rêvée que l’on s’en fait. Paolo Sorrentino a beau avoir été comparé à Fellini pour ses portraits somptueux de Rome, mais le réalisateur de 51 ans est et restera à jamais un Napolitain, un «plouc», comme le dirait la Baronne, veuve indifférente qui occupe l’appartement au-dessus de celui de Fabietto et de sa famille, les Schisa. Les ploucs ne sont pas à Rome – ce sont «les cons» qui y sont, affirmera Capuano, futur mentor de Fabietto/Paolo –, mais dans leur fief, à Naples, là où l’ordinaire a des airs de surnaturel, ils sont sous protection divine.

Entre récit de formation et élucubrations en tout genre sur la ville (sociologiques, philosophiques, historiques, spirituelles…), È stata la mano di Dio fond le décor dans l’histoire, et inversement. Le film s’ouvre, à juste titre, sur un long panoramique sur la baie de Naples, laisse passer une voiture que l’on retrouve dans le plan suivant, quand la nuit est tombée sur la «ville aux 500 coupoles» : à l’intérieur se trouve San Gennaro, saint patron de la ville. C’est sous ses auspices, et avec l’aide d’un premier miracle, que s’ouvre le récit autobiographique de Paolo Sorrentino.

Fabietto, walkman toujours accroché à la ceinture, n’a pas d’amis, mais une grande famille : malgré les infidélités du père, leur amour semble inébranlable. À cette époque, la vie du peuple napolitain est rythmée par l’expectative de voir arriver Diego Maradona, que le club de football de la ville pourrait bien racheter à Barcelone. Quand l’Argentin arrive à Naples, le père de Fabietto lui offre un abonnement au stade San Paolo et le jeune homme se promet de ne rater aucun match à domicile, au risque de rater des vacances au ski. Pour les parents, le week-end à la montagne se termine en tragédie. Seul mais pas solitaire, Fabietto devient orphelin à 16 ans, «sauvé» par «la main de Dieu».

Dans les explorations formelles de Paolo Sorrentino, È stata la mano di Dio se dévoile en deux temps. La première offre un regard tendre sur une époque dorée, celle d’une famille unie que Fabietto «n’oubliera jamais». Il y a des réminiscences de la comédie à l’italienne : les canulars de la mère, une galerie de personnages déjantée (une grand-mère qui n’ouvre la bouche que pour dire des vulgarités; le nouveau compagnon de la tante, qui boîte et qui a perdu sa voix; un simplet qui passe ses journées à fumer des cigarettes en bas de l’immeuble)… C’est aussi et surtout un portrait qui exalte la Naples populaire, authentique, qui défile comme dans un «freak show», avant que la tragédie familiale ne brise l’euphorie du groupe.

Après la mort des parents, c’est une autre Naples qui apparaît à Fabietto. Elle ne grouille plus de monde, est devenue taiseuse. D’autres miracles surviennent, mais on ne peut plus que les admirer : les après-midi sur le Stromboli, une pièce de théâtre coupée en plein milieu par le mécontentement d’un spectateur, une virée nocturne chez les contrebandiers de cigarettes… La ville devient un symbole de la perte de l’innocence, prise littéralement quand le protagoniste perd sa virginité. Quand le frère de Fabietto passe un casting pour devenir figurant dans un film que Fellini tourne à Naples, Sorrentino prend soin de laisser le «maestro» hors-champ. Tout intouchable qu’il est, Fellini, à Naples, n’est rien : ni un maître du cinéma ni un Antonio Capuano, encore moins un Diego Armando Maradona. On a souvent comparé Sorrentino à Fellini, pour ses portraits somptueux de Rome; ici, il n’en a jamais été aussi éloigné et proche à la fois. È stata la mano di Dio est son Amarcord, un chef-d’œuvre autobiographique à la lumière duquel il faut désormais revoir toute sa filmographie.

Un film qui se dévoile en deux temps : un portrait de la Naples populaire et authentique, qui laisse place à la perte de l’innocence

Valentin Maniglio

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