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[Cinéma] Le mystère insondable de l’infanticide


Laurence est jouée par Guslagie Malanda. (photo Srab films – ARTE france)

Inspiré d’une affaire d’infanticide dans le nord de la France, «Saint Omer» est un film de procès cérébral et radical, qui ambitionne d’explorer la question de notre «rapport à la maternité».

Neuf ans après la mort de la petite Adélaïde, 15 mois, noyée par sa mère Fabienne Kabou à marée montante à Berck-sur-Mer, le film rejoue le procès de cette mère infanticide, finalement condamnée à 15 ans de réclusion criminelle pour assassinat en appel. La réalisatrice Alice Diop, nouvelle coqueluche du cinéma français, a d’ailleurs assisté au procès en première instance. Et vu, comme beaucoup, ses préjugés sur une accusée, femme lettrée et marginale au profil insaisissable, rebattus.

«J’ai été obsédée par cette histoire dès le départ. J’ai vraiment été bouleversée, sidérée, traversée par beaucoup de choses assez intimes sur mon rapport à la maternité», a expliqué Alice Diop. «Toutes les femmes présentes au procès ont été percutées par quelque chose de très, très intime», poursuit la réalisatrice, dont le film (Grand Prix du jury à la Mostra de Venise) semble subjugué par l’accusée.

Celle-ci, rebaptisée Laurence et jouée par Guslagie Malanda, «est une femme noire d’une grande complexité, d’une grande nuance, une surface de projection qui pulvérise toutes les projections possibles, tous les fantasmes, tous les attendus», poursuit la réalisatrice, qui n’a pas souhaité rencontrer Fabienne Kabou pour préparer son film.

Le personnage est entré en moi !

«Ce n’est pas une femme qui suscite forcément la compassion, c’est une femme extrêmement puissante, mais qui est aussi monstrueuse, qui est aussi pathologiquement folle, qui a des travers, qui a des zones d’ombre, qui n’est pas univoque», explique-t-elle. «Le personnage est entré en moi !», confie l’actrice Guslagie Malanda, qui après une première expérience du cinéma en 2014, s’était ensuite dirigée vers l’art contemporain.

Saint Omer met aussi en scène l’alter ego de la réalisatrice, une universitaire et auteur qui se rend au procès pour préparer son prochain roman, «une femme noire, brillante, universitaire à Sciences Po», une «représentation de la femme noire réinventée à l’aune de ce que nous sommes», poursuit-elle. Le rôle est confié à une comédienne et metteur en scène de théâtre, Kayije Kagame, qui souligne avoir dû jouer dans une «économie de paroles», au long de séquences d’écoute sur les bancs du public où elle se tient «la tête droite, bougeant à peine».

D’une certaine ambition intellectuelle, se plaçant sous les auspices de Marguerite Duras ou encore de la mythologie, avec un rôle de présidente de la cour confié à Valérie Dréville, qui fut Médée sur les planches, le film ne concède rien au sensationnalisme. Alice Diop, dont c’est la première fiction, a opté pour une réalisation au scalpel, tout en plans fixes, séquences d’écoute et monologues.

«Le personnage principal, c’est le spectateur, qui est amené à vivre une expérience dans un procès d’assises» où «la question centrale est la maternité, le mystère» de l’accusée, explique la réalisatrice, qui n’hésite pas à souligner à l’écran la sororité quasi mystique qui lierait les femmes participant à l’audience, au nom de la mère. «Le film avance en épaississant les questions plutôt que d’y répondre. En ne répondant pas, il nous oblige à rentrer dans nous-mêmes, nos propres souterrains, et de travailler la question de la maternité à partir de nos propres vies.»

Saint Omer, d’Alice Diop.

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