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Chine : les DJettes veulent casser les codes de la nuit


Lassée des boîtes de nuit dominées par les DJ hommes, où l’apparence physique compte autant que les compétences, Eloise Fan a créé à Shanghai un espace où les artistes féminines sont libres de s’exprimer.

Par une fraîche soirée de printemps dans la capitale économique chinoise, des dizaines de femmes se pressent dans un bar en sous-sol autour de la DJette qui, devant sa table de mixage, leur montre comment enchaîner les morceaux. Employée dans le secteur de la publicité, Éloïse Fan, 30 ans, entend bousculer les mentalités avec son label Scandal, qui organise des soirées et enseigne aux femmes les bases du métier de DJ.

Elle et son équipe tentent de rendre la vie nocturne en Chine plus sûre pour le public féminin et plus accueillante pour les musiciennes en herbe. Car le pays reste globalement conservateur en matière de mœurs. Même si les mentalités ont évolué en dix ans, les femmes qui fréquentent les bars et boîtes restent parfois perçues comme ayant des mœurs légères. «Je veux accroître la visibilité des femmes et faire en sorte que plus de gens les remarquent», déclare Éloïse Fan. «Peut-être que comme ça, on pourra donner un coup de fouet à l’inspiration» féminine, souligne la dynamique trentenaire.

Scandal a sorti son premier album en 2022, puis une compilation cette année, entièrement composée de titres réalisés par des artistes féminines. Dans ce bar de Shanghai, l’une d’entre elles prodigue justement ses conseils de composition musicale à un groupe de curieuses réunies autour de ses platines. Âgée de 31 ans, Eva, alias «Empress CC», explique que la scène underground constitue pour les femmes une sorte de refuge où elles sont davantage respectées.

Car dans les boîtes de nuit classiques, par exemple, selon une tradition bien ancrée, certains hommes fortunés paient afin d’avoir des femmes qui les accompagnent pour boire. C’est un signe extérieur de richesse, souligne-t-elle. Mais son expérience en tant que productrice musicale lui a aussi enseigné que, même dans les milieux underground, l’ascension des femmes reste bien plus lente que celle des hommes.

Et les préjugés ont la vie dure. En 2020, en pleine épidémie de covid, lorsque des médias avaient révélé les sorties nocturnes d’une femme identifiée comme cas contact, elle avait été victime d’une avalanche de commentaires au vitriol sur les réseaux sociaux. Éloïse Fan se souvient quant à elle de regards et remarques parfois misogynes lorsqu’elle et ses amies ont fait leurs premières armes en tant que DJ dans certaines boîtes.

«Les hommes ont le droit de mettre un t-shirt, un sweat et un short. Mais on attend de leurs homologues féminines qu’elles mettent une grosse couche de maquillage, s’habillent de façon sexy et soient jolies», déplore-t-elle avec véhémence. «L’une des artistes de notre label m’a confié qu’on lui avait même déjà demandé une fois ses mensurations avant sa prestation de DJ!»

Mais la faible représentation des femmes dans l’univers du mix tient également à des facteurs sociaux. Ainsi, pour les parents en Chine, il est acceptable qu’un garçon puisse être «un sale gosse, fasse des histoires et s’amuse», affirme Éloïse Fan. En revanche, une fille se doit d’être plus mature et de «prendre des décisions réfléchies», ce qui apparaît en contradiction avec l’image peu conventionnelle du monde de l’électronique, souligne-t-elle.

«Scandal peut aider les femmes en Chine à se rendre compte que des musiciennes peuvent elles aussi réussir», estime Breezy, une juriste de 27 ans qui a participé à un album du label et se dit fière des objectifs féministes du projet. Cependant, être étiquetée «féministe» n’est pas forcément un avantage car cette qualification fait parfois office de repoussoir auprès du public. Plusieurs personnes travaillant sur des projets de la sorte ont décliné des demandes d’interviews, de peur selon elles d’attirer l’attention des autorités.

Si les droits des femmes ne sont pas combattus en eux-mêmes, le militantisme trop actif est surveillé par le gouvernement, qui craint tout mouvement social pouvant échapper à son contrôle. Ces dernières années, certaines militantes ont été arrêtées et les autorités ont fait suspendre des comptes féministes sur les réseaux sociaux. À Pékin, le groupe de rock Xiaowang, entièrement constitué de femmes, déplore que la vision parfois étriquée de la société quant au rôle des femmes dans l’industrie musicale fasse obstacle à leur passion.

Sa leader et chanteuse, Yuetu, militante contre le harcèlement sexuel dans les lieux de vie nocturne, refuse toutefois les étiquettes. «Je ne fais pas partie d’un groupe uniquement pour promouvoir le féminisme», souligne-t-elle. «J’espère aussi pouvoir faire entendre aux plus jeunes filles davantage d’authentiques voix de femmes musiciennes.»

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