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Catherine Meurisse : après Charlie, «je ne savais plus qui j’étais»


Catherine Meurisse. (photo AFP)

En marge de l’ouverture de l’exposition qui lui est dédiée à Strasbourg, Catherine Meurisse, «figure de proue» de l’illustration, revient sur son parcours et sur «l’effondrement» de Charlie Hebdo.

Première dessinatrice de presse à rejoindre Charlie Hebdo en 2005, Catherine Meurisse, 43 ans, est aussi la première autrice de bande dessinée à avoir été élue à l’Académie française des Beaux-Arts, en 2020. Au moment où le musée Tomi-Ungerer de Strasbourg lui consacre une exposition, qui a ouvert au public vendredi, elle raconte son parcours.

Comment vous êtes-vous fait votre place dans un milieu très masculin ?

Catherine Meurisse : Je n’avais pas forcément une idée très précise de ce que je voulais faire, j’ai d’abord suivi des études de lettres avant de m’inscrire à deux écoles d’art à Paris, l’école Estienne et les Arts Déco. C’est en sortant de ces écoles que j’ai découvert le dessin de presse et que je suis rentrée à Charlie Hebdo, où j’ai travaillé pendant un peu plus de dix ans. Ce sont eux qui sont venus me chercher, je crois que je n’aurais pas osé taper à la porte de Charlie, j’étais beaucoup trop timide pour ça… En y entrant, je me souviens avoir sauté de joie en me disant : là, j’ai mon métier!

Arrivée à Charlie, vous êtes la première femme à y travailler en 35 ans d’existence…

C’est la première fois que j’ai senti qu’il y avait une place à se faire et je l’ai faite. C’était facile parce qu’il y avait une ambiance bienveillante, des gens intelligents, ouverts, pédagogues. Tignous, Cabu étaient enchantés qu’une femme arrive, ils ne comprenaient pas qu’il n’y ait pas plus de femmes dans le dessin de presse. Le dessin de presse où il y a très peu de femmes, l’illustration jeunesse où il y en a énormément et la bande dessinée où il y en a de plus en plus… J’ai eu le plaisir de me balader entre ces trois métiers pendant plusieurs années.

J’ai absolument besoin de me nourrir de tous les arts

Avec vos œuvres comme Mes hommes de lettres ou Le Pont des arts, essayez-vous d’établir des passerelles entre artistes, écrivains et vos lecteurs ?

Je fais ce pont d’abord pour moi. Je rassemble tous ces artistes et ces grands écrivains dont certains m’impressionnent, pour qu’ils cessent de me faire peur. Je les rassemble aussi parce que je les aime profondément, je leur rends hommage. Souvent, je m’en moque, mais c’est aussi une façon de leur déclarer ma flamme. J’ai absolument besoin de me nourrir de tous les arts, c’est vraiment ce qui me fait tenir debout.

Quel est votre lien avec la nature, un autre thème prégnant dans votre œuvre ?

J’ai grandi à la campagne, dans l’ouest de la France. Les vieux murs de pierre sèche, les arbres, les saisons… Tout ça m’est familier depuis que je suis enfant et je crois que ça a forgé vraiment un état d’esprit, un sens de l’observation qui est au cœur de mon métier et qui me sert toujours. L’observation, c’est comme la gymnastique, il faut la pratiquer : il ne faut jamais ramollir de l’œil! Aujourd’hui, malheureusement, le lien avec la nature est trop souvent rompu. Je vis en ville, mais dès que je retrouve ce lien, j’ai l’impression que ma vie est augmentée. Ma vie, ma vue, mes sens, tout est augmenté et ça me donne envie de continuer à dessiner.

Pourquoi créer un personnage à votre image dans La Légèreté ?

La Légèreté est très liée à l’attentat contre Charlie Hebdo. Après cet effondrement, en janvier 2015, je ne savais plus qui j’étais et il a fallu que je me représente, que je me dessine, pour me prouver que je n’étais pas morte avec les copains. La quête de beauté est aussi apparue pour des raisons vitales. Même si La Légèreté est aussi un album où il y a de l’humour, j’ai vraiment pris au sérieux tout ce qui pouvait me redonner vie.

Cet album a-t-il déclenché l’envie de vous raconter plus en détail ?

Je me représente aussi dans les albums qui ont suivi La Légèreté : Les Grands Espaces et La Jeune Fille et la mer. Ces livres forment une trilogie qui n’était pas programmée mais qui suit mon cheminement intérieur et personnel : qui suis-je après une catastrophe pareille, suis-je encore capable de dessiner? Ensuite : d’où je viens? Dans Les Grands Espaces, je raconte mon enfance. Et avec La Jeune Fille et la mer c’est : que puis-je sauver avant une catastrophe, cette fois-ci naturelle? Ces trois livres évoquent la perte, la perte de gens qu’on aime, de paysages qu’on aime.

Aujourd’hui, quels sont vos projets ?

Après avoir rencontré l’équipe de Charlie, il y a quelques années, j’ai rencontré une autre compagnie, celle des académiciens et des académiciennes, et c’est tout aussi intéressant, dans un autre genre… En janvier, Emmanuel Guibert (NDLR : dessinateur et scénariste de BD) a été élu à l’Académie. À nous deux, on peut encore mieux représenter la bande dessinée. Ce qui serait bien, c’est de créer un Grand Prix de bande dessinée. Il y a beaucoup de choses à faire et on a tout le temps parce qu’on a toute la vie !

Au musée, une place pour elle

Une exposition consacrée à l’illustratrice et autrice de bande dessinée Catherine Meurisse, ancienne de Charlie Hebdo, a ouvert vendredi à Strasbourg dans le cadre des «Rencontres de l’illustration» mettant en lumière les femmes artistes. Intitulée «Catherine Meurisse. Une place à soi», en clin d’œil à l’ouvrage de Virginia Woolf, cette exposition au musée Tomi-Ungerer – Centre international de l’illustration revient sur le parcours de cette malicieuse artiste de 43 ans et son rapport aux arts et à la nature.

Catherine Meurisse «est une illustratrice qui s’est déjà fait une place, un peu une figure de proue pour cette manifestation qui tend à redonner une visibilité à ces illustratrices», a expliqué Morgane Magnin, commissaire de cette exposition qui se tient jusqu’au 3 septembre.

Première femme dessinatrice de presse à rejoindre la rédaction de Charlie Hebdo à 25 ans, elle a aujourd’hui quitté le dessin de presse et réalise des illustrations colorées, poétiques et humoristiques pour des revues telles que Zadig ou Philosophie magazine, tout en publiant ses propres albums. «À Charlie, on dessinait tous les jours comme des dingues, aujourd’hui, mon dessin ralentit», a-t-elle expliqué lors du vernissage.

On retrouve dans l’exposition Le Corbeau et le renard, avec lequel elle a remporté à 13 ans le concours de la bande dessinée scolaire d’Angoulême, aux côtés d’illustrations récentes des Fables de la Fontaine publiées dans un album l’an dernier. Au fil de ses œuvres comme Mes hommes de lettres (2008) ou Humaine, trop humaine (2022), cette ancienne étudiante en lettres adore se moquer de ses écrivains et philosophes préférés.

Elle-même ne se prend pas au sérieux, comme le montre le carton d’invitation pour l’Académie des Beaux-Arts, où elle a été élue en 2020, devenant la première femme dessinatrice de bande dessinée à rejoindre la prestigieuse institution. On l’y voit déguisée en Tintin enfilant l’habit vert de l’académicien. «Cette entrée à l’académie, c’était quand même très impressionnant, je ne pouvais pas m’empêcher de marquer ça de manière humoristique.»

Jusqu’au 3 septembre. Musée Tomi-Ungerer – Strasbourg.

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