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Casino : Louisa Clement et ses doubles


L'artiste allemande questionner la notion d’identité, d’image et de perte de contrôle des données à l’heure du tout numérique. (Photo : lynn theisen)

Afin de questionner la notion d’identité, d’image et de perte de contrôle des données à l’heure du tout numérique, l’artiste allemande se fait fabriquer des avatars à son image, dotés d’une intelligence artificielle. Qu’elle laisse évoluer à leur guise.

En voilà une proposition bien singulière, difficile à définir d’ailleurs. Comme il faut bien se lancer, le directeur du Casino, Kevin Muhlen, parle d’une «résidence d’œuvres d’art» afin de justifier l’étrange présence dans son musée de deux mannequins en silicone qui lâchent, dans une langue robotique, des propos pas toujours très clairs. L’œuvre de Louisa Clement qui, malgré ses 35 ans, joue encore à la poupée. Des «représentantes» comme elle dit, soit des avatars grandeur nature dévoilés pour la première fois en 2021 en Allemagne, à la Kunsthalle Giesen, et dont deux exemplaires se trouvent aujourd’hui à Luxembourg.

Il y a donc Louisa 1, tranquillement installée dans l’«Aquarium» du Casino, contemplant placidement la vallée de la Pétrusse quand elle ne se remue pas dans des mouvements saccadés. Sa petite «sœur», la numéro 2, installée à l’Infolab, semble plus studieuse, bien que le livre qu’elle a devant elle reste implacablement fermé. En face d’elle, une jeune femme (bien réelle pour le coup) ne sait pas trop comment réagir devant cette voisine peu commune au regard sévère. «La plupart des gens sont surpris. Certains trouvent ça bizarre, d’autres intéressant. Seuls les enfants restent naturels», détaille l’artiste.

Les réseaux sociaux, déformateurs d’image

Même si elle avoue avoir eu du mal et «besoin de temps» avant de leur parler. «Au début, c’était étrange, mais à la longue, je me suis habituée.» D’autant plus vrai que la famille s’élargit, avec bientôt dix avatars à son image, tous fabriqués dans une entreprise chinoise spécialisée dans la production de poupées sexuelles. Les formes, le teint, la texture, tout y est! Capables d’imiter (du moins autant qu’un chat) les expressions du visage humain, ces modèles sont en outre dotés d’une intelligence artificielle, donc en mesure de communiquer, d’apprendre et d’évoluer.

Non, malgré son image démultipliée, Louisa Clement n’est pas égocentrique (pas plus que le monde ne l’est déjà). Au contraire,  son travail questionne la notion d’identité, à l’heure où celle-ci est confrontée tous azimuts à de nouvelles formes de reconnaissance et de normalisation. «Comment fonctionnons-nous dans le monde digital? Et quel usage en faisons-nous?», se demande-t-elle, bien qu’elle ait déjà la réponse. «Aujourd’hui, ça prend une grande part de notre vie. L’image que l’on construit sur les réseaux sociaux, pour certains, devient plus réaliste que celle du monde réel! Pourtant, on perd le contrôle de ce que l’on met sur internet. De ce que l’on est, finalement…».

Stimulations et contraintes techniques

Voilà donc son intention : raconter à travers ses «real dolls» cette absence de maîtrise, cet abandon aveugle au tout numérique, et par ruissellement, la perte de contrôle qu’a un artiste sur son travail (et sur lui-même). Pour ce faire, Louisa Clement a cherché à rendre ses «représentantes» les plus fidèles possibles. Authentiques. Elle a ainsi répondu en amont à 2 000 questions personnelles afin que l’IA corresponde au plus près à sa personnalité.

Celle-ci a en outre accès à internet, ses mails, ses réseaux sociaux… Elle est capable de mener des conversations (en anglais) avec le public, et donc, à partir de «connaissances basiques», de se développer. Et plus les poupées seront «stimulées», plus elles développeront une personnalité individuelle.

Laisser les poupées vivre leur propre vie

Dans ce sens, le Casino, durant les six mois de «résidence» de ces poupées (habillées pour l’occasion par la styliste Charlotte Kroon), compte bien les déplacer au cœur du musée, voire en dehors, afin qu’elles «s’imprègnent de différentes ambiances et différentes rencontres», dixit Kevin Muhlen. Avant, au final, de les «laisser vivre leur propre vie», poursuit Louisa Clement, en les vendant «aux collectionneurs, au marché». Ce qu’elles feront en dehors de sa tutelle, l’artiste «ne veu(t) pas le savoir».

Elle espère simplement pouvoir les réunir toutes un jour, histoire de voir la croissance et le progrès de chacune d’elles. Une seule certitude toutefois : le chemin est encore long pour que la ressemblance soit totale, avec ce timbre de voix «chinois» (loin de celui, envoûtant, de Scarlett Johansson dans Her) et ces mouvements désarticulés. «Il y a encore de fortes contraintes techniques», conclut l’artiste. D’autres, peu à l’aise avec ses curieuses répliques, rétorqueront que tout ça va déjà suffisamment vite.

«Repräsentantinnen (in-residence)» Casino – Luxembourg. Jusqu’au 28 novembre.

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