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[Bande dessinée] Les dessous de la Révolution


«Révolution» poursuit sa réécriture de la Révolution française, entre faits réels et construction romanesque. (Photo : actes sud-l'an 2)

Après un premier tome sacré album de l’année à Angoulême en 2020, Florent Grouazel et Younn Locard reprennent leur ambitieuse entreprise : dépeindre la Révolution française de l’intérieur, par le bas et en détail. Un monument de la BD historique.

Le premier coup de semonce remonte à 2019, bien que discret. Florent Grouazel et Younn Locard viennent de publier le premier tome d’un triptyque (devenu avec le temps quadrilogie), imaginé comme une épopée : celle de la Révolution française, racontée de l’intérieur et par le bas.

Il y a certes des références nombreuses à l’Histoire et certaines de ses figures emblématiques (Marat, Robespierre, Lafayette, Louis XVI), mais l’idée qui les motive est tout autre : dépeindre l’insurrection de 1789, la chute de la monarchie et la reconstruction nécessaire à hauteur du peuple et ses représentants, ceux dont les livres ne parlent quasiment jamais.

Un an plus tard, en 2020 à Angoulême, le Fauve d’or en poche (meilleure BD de l’année) et la baïonnette sur l’épaule, ils deviennent, malgré eux, les porte-voix de toute une profession, relayant la gronde des auteurs qui dénoncent la précarité de leur métier. Comme dans leur livre, la colère monte depuis la tribune. Ah! ça ira, ça ira, ça ira…

Depuis, deux années sont passées, et on ne sait pas si le duo a amélioré ses conditions de travail. Seule certitude : il n’a pas perdu la main et poursuit son dur labeur dans un nouvel ouvrage, tout aussi dense, intelligent et approfondi que le précédent.

1791 : l’émeute est proche et les rumeurs se propagent

Après la chute de la Bastille et l’abolition des privilèges, on file cette fois-ci en 1791. L’émeute est proche en ce 28 février, et les rumeurs se propagent : il y aurait des royalistes, les «chevaliers du poignard», prêts à faire évacuer le roi. Surtout que depuis 16 mois, il n’y a pas eu de grands «soubresauts», comme l’explique, en postface, l’historien Dominique Godineau.

Ce qui n’empêche pas, au contraire, la rogne de s’installer : on s’oppose aux droits seigneuriaux, on réclame de meilleurs salaires, on espère la République, et plus loin, au cœur des colonies françaises, l’abolition de l’esclavage. Mais il y a aussi les conservateurs et les contre-révolutionnaires qui, dans l’ombre, conspirent pour un retour en force du monarque.

Des tensions, attisées par les on-dit et les luttes intestines, qui vont aboutir à la fusillade du Champ-de-Mars, le 17 juillet, suivie d’une répression antirépublicaine. Car malgré les promesses et les principes qui tardent à s’appliquer, le Paris des pauvres souffre toujours et les nobles évidemment moins.

«Où est l’égalité alors?», lâche ainsi, dans un rire, le truculent Abel de Kervélégan, l’un des personnages principaux, noble allié à la cause révolutionnaire bien malgré lui. À travers cet électron libre qui cherche à trouver sa place dans le nouveau monde, on sort de Paris (c’est une nouveauté) à la découverte des problématiques provinciales, et on découvre également les balbutiements de l’industrie.

Un récit à hauteur d’homme

Il n’est pas le seul à servir de guide au cœur du tumulte : on retrouve, entre autres, Louise, la jeune domestique révoltée et curieuse des débats qui agitent la capitale; la petite borgne des bas-fonds, Marie; le politique Antoine Barnave; Isabelle Gormant du Cabanel, femme de couleur qui arrive de Saint-Domingue, coupable d’avoir émancipé ses esclaves à la mort de son époux (et dont les missives servent, à chaque début de chapitre, à repositionner l’histoire).

Sans oublier le visqueux Laigret, homme de presse et de pouvoir, dont les traits ressemblent à ceux d’Éric Zemmour. Dans leur sillage, de l’Assemblée au Palais-Royal, de la fange sous les ponts de Paris aux clubs et cercles «citoyens», on suit les jeux politiques et les échauffourées. Toujours à hauteur d’hommes (et de femmes).

Écrit et dessiné à quatre mains, foisonnant dans le dessin comme dans le texte, Révolution poursuit sa réécriture de la Révolution française, en habile équilibriste entre faits réels et construction romanesque. Dans ce second tome, comme dans le premier, l’attention est portée aux détails, sublimés par des doubles pages superbes.

Sans manichéisme aucun, comme pour mieux raconter la complexité de la situation et pourfendre les stéréotypes sociaux, Florent Grouazel et Younn Locard rappellent ici une chose essentielle : qu’il est plus facile de détruire que de reconstruire, et que le changement ne se fait pas en un coup de guillotine.

«C’est loin d’être fini, les privilèges!», clame même l’un des personnages du livre. Plus de deux siècles plus tard, l’écho résonne encore.

Révolution (t. 2 – Égalité / Livre 1), 
de Florent Grouazel et Younn Locard.
Actes Sud-L’An 2.

L’histoire

Après les évènements de 1789, on se retrouve 16 mois plus tard, en 1791, année qui verra l’arrestation de Louis XVI. Mais avant que celle-ci n’advienne, les colonies françaises sont entrées dans le bal de la Révolution, tandis qu’à l’Assemblée, les tenants de la première Constitution cherchent à poser les bases de la République.

Malgré la récente abolition des privilèges, le Paris des pauvres, lui, souffre toujours, et les nobles ont gardé leurs titres. Dans l’ombre de la capitale, puis dans toutes les provinces de France, les complots, les alliances politiques et les rumeurs vont bon train…

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