Accueil | Culture | Baloji, un cinéaste apprenti sorcier

Baloji, un cinéaste apprenti sorcier


Dans la société congolaise patriarcale, Mama Mujila souffre de l’assignation maudite de son fils, Koffi, considéré comme sorcier.

Conte inspiré de la vie de son réalisateur, Augure mélange fantastique, réflexion sur l’identité et commentaire engagé. Un film exceptionnel qui marque les débuts derrière la caméra du rappeur belge Baloji.

«Au vu de mon parcours, cette sélection à Cannes a des allures de victoire», avait déclaré en mai à la radio belge, depuis la Croisette, le réalisateur d’Augure, Baloji. À 45a ns, le rappeur belgo-congolais élargit ses moyens d’expression en poursuivant une réflexion sur l’identité, le déracinement et la mémoire, entamée il y a quinze ans avec Hotel Impala (2008), un premier album solo composé en réponse à une lettre de sa mère, qu’il n’avait plus vue depuis 1981, quand son père et lui ont quitté leur Congo natal pour s’installer à Liège. «Mon art premier, c’est l’écriture, confiait-il, en marge de la présentation de ce premier long métrage en compétition dans Un certain regard. J’ose rarement en parler parce que ça fait un peu lourdingue mais, mon métier, c’est la poésie (…) Ce film, c’est la continuité de tout ce que j’ai déjà fait. La continuité et un aboutissement.»

Pas autobiographique, mais en partie inspiré de sa vie, Augure raconte les destins croisés de quatre personnages considérés comme sorcières et sorciers dans une ville imaginaire du Congo (inspirée de Lumumbashi, où Baloji est né en 1978, et de Kinshasa). Au cœur de l’histoire, Koffi (Marc Zinga), qui vient au pays accompagné de sa femme, Alice (Lucie Debay), enceinte. Le retour de Koffi, mis à l’écart de sa propre famille, est vu d’un mauvais œil; en revenant à ses racines, Koffi se retrouve également confronté à des évènements fantasmagoriques en lien avec son passé, ainsi qu’aux codes complexes de la société congolaise, loin de ce qu’il connaît en Belgique. Pour sa famille, la présence de Koffi est un mauvais présage.

 

Poids des croyances

Cette attirance pour l’occultisme, Baloji Tshiani la porte dans son nom : «En swahili, Baloji signifie « sorcier ». En fait, ça veut dire « celui qui s’empare des pouvoirs de tous les sorciers ». C’est un nom affreux, en réalité, comme si je m’appelais « diable » ou « démon ». Donc, à cause de mon nom (…), j’ai toujours été fasciné par la sorcellerie et par les gens considérés comme différents.» Ainsi, le film suit également les parcours de Paco (Marcel Otete Kabeya), un enfant des rues que ses parents voient comme une malédiction, de Mujila (Yves-Marina Gnahoua) et de Tshala (Eliane Umuhire), qui vont souffrir de l’assignation de Koffi, dont elles sont respectivement mère et sœur.

 

Visuellement magnifique, le conte hallucinatoire qu’est Augure raconte comment ces quatre personnages tentent de se défaire du poids des croyances et des questions d’honneur grâce à l’entraide. «Aujourd’hui, j’ai accepté que mon nom représente aussi ce que je suis. Au Congo, j’ai appris qu’il signifie à l’origine « homme de science » (…) C’est seulement avec le colonialisme que le mot « baloji » a pris une tournure négative», explique le réalisateur. Celui qui n’a plus sorti d’albums depuis 137 avenue Kaniama (2018) – pour lequel il avait réalisé le clip de Peau de chagrin / Bleu de nuit, déjà empreint du réalisme magique et de l’usage essentiel des couleurs que l’on peut admirer dans Augure – a toujours mélangé, dans son art, autobiographie et satire politique. Il délivre ici son discours depuis le Congo, en dénonçant notamment «la façon dont la société est structurée par et pour les hommes, et comment ceux-ci tentent de s’approprier le corps de la femme».

Quatre albums

Écrit «en une semaine, isolé du monde et dans un état fiévreux», à la suite du décès du père de Baloji fin 2018, le film s’appuie sur un travail préparatoire en musique : «J’ai réalisé une bande originale en quatre albums écrits du point de vue des quatre personnages principaux. Cet exercice a changé la façon dont j’appréhende la question du point de vue dans l’écriture.» La musique entendue dans le film est, elle, composée par Liesa Van der Aa, avec quelques clins d’œil aux morceaux de Baloji, qui a choisi de ne pas y inclure ses compositions : «Ma musique est toujours accompagnée de paroles, mais dans ce film, cela aurait été de trop.» Les quatre albums, un «excellent exercice d’empathie», ont servi d’« »outil-béquille » pour les acteurs dans leurs intentions de jeu», ainsi que «dans le choix des décors, des costumes et dans mon travail avec le chef-opérateur». «Je crois que ce type d’exercice va m’accompagner sur mes prochains projets.»

À l’époque où il était membre du groupe Starflam, Baloji vivait au-dessus d’un vidéoclub, à Bruxelles. «C’était mon école de cinéma», glisse ce fan de Gus Van Sant, Steve McQueen, Barry Jenkins ou encore Park Chan-wook, «mais mon enfance à Liège auprès de la communauté sicilienne a surtout fait de moi un fan absolu de cinéma italien». «Et puisque j’étais déjà intéressé par la musique, la mode et la direction artistique, le cinéma me semblait taillé pour moi, car il combine toutes mes passions en une seule forme d’art.»

PUBLIER UN COMMENTAIRE

*

Votre adresse email ne sera pas publiée. Vos données sont recueillies conformément à la législation en vigueur sur la Protection des données personnelles. Pour en savoir sur notre politique de protection des données personnelles, cliquez-ici.