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André Masson d’un monde à l’autre


Pour sa Corrida mythologique, Masson se serait inspiré d’un matador qui, sous les huées du public, se serait empalé de lui-même sur les cornes du taureau.

Pilier méconnu du surréalisme, André Masson est à l’honneur au Centre Pompidou-Metz avec une exposition monographique de taille, qui expose ses multiples facettes.

Si, en 2024, on fête les 150 ans de l’impressionnisme, c’est aussi l’année du centenaire de la publication du Manifeste du surréalisme, texte d’André Breton qui lança un courant parti, donc, de la littérature et s’étendant à tous les arts, la peinture en particulier.

Entré au fil du temps dans l’ombre d’un Dalí, d’un Magritte, d’un Joan Miró ou d’un Max Ernst, retenus comme références surréalistes absolues, le Français André Masson retrouve au Centre Pompidou-Metz la place qui lui revient dans le paysage de la peinture européenne du XXe siècle grâce à l’exposition d’une collection renversante de peintures et dessins, et intitulée d’après l’une de ses illustrations : «Il n’y a pas de monde achevé». «C’est la première fois que Masson se raconte lui-même», assure Chiara Parisi, directrice du musée messin et commissaire de cette exposition monographique qui se limite strictement aux œuvres du seul artiste à l’honneur, accompagnées de ses propres commentaires.

Le peintre, disparu en 1987, à 91 ans, a «beaucoup produit» dans sa longue pratique des arts plastiques. À tel point que les quelque 276 œuvres de l’exposition, si elles brossent le portrait exhaustif des différentes périodes de Masson et abordent toutes les thématiques qui traversent son œuvre, n’en sont en réalité qu’un fragment qui s’étend des années 1920, avec ses premières œuvres cubistes, à l’expressionnisme abstrait des années 1960, en passant par l’invention du dessin automatique et les tableaux de sable.

Mais la vie d’André Masson a commencé bien avant les premières toiles exposées ici, marquée par des traumatismes, des engagements (artistiques, politiques…) et des sensibilités qui l’accompagneront tout au long de sa vie d’artiste.

Guerre

Formé aux Beaux-Arts à Bruxelles puis à Paris, André Masson s’est installé en Suisse pour y vivre une vie d’ascète lorsque la guerre éclate, en 1914.

Masson s’engage au front, mais il est gravement blessé à la poitrine et laissé pour mort, seul dans une tranchée. L’épisode déclenche un traumatisme chez le peintre, dont «l’œuvre sera tout entière imprégnée par la violence», note Chiara Parisi. Malgré les nombreuses évolutions stylistiques de l’artiste au fil des décennies, la représentation de la violence reste une constante dans son travail.

Ainsi, André Masson met en formes la violence exercée par les hommes sur les animaux (notamment dans ses tableaux de corridas, réalisés durant sa «période espagnole»), sur les femmes (la série des Massacres réalisés à l’encre de Chine, dont L’Enlèvement des Sabines, 1933), le peuple (ses dessins de presse antifascistes)…

Devant La Prison grise, œuvre tardive de 1961 représentant une prison de femmes dans l’Algérie tentant de se libérer du joug colonial, la commissaire assure que «pour Masson, il faut que le tableau figure à côté du journal du jour». Autrement dit, les œuvres existent en premier lieu par un dialogue avec leur contexte.

Ligne errante

«André Masson est un grand inventeur du XXe siècle», lance Chiara Parisi, définitive. En procédant à un «dépassement» des dogmes cubistes, André Masson «laisse aller sa plume en cherchant à aller au-delà du conscient». C’est le dessin automatique, ou la «ligne errante» : Masson réalise les premiers exemples dès 1923 et, très vite, intègre le procédé à ses peintures cubistes.

Et si la ligne errante précède le Manifeste du surréalisme, c’est qu’elle trouve son origine dans les corps enchevêtrés, obsession de la première heure d’André Masson qu’il fait figurer dans ses premiers dessins érotiques, et qui renaîtront sous d’autres formes (humaines, animales ou hybrides), plus tard dans son œuvre.

«Il y a un lien évident avec la psychanalyse» dans la pratique du dessin automatique, glisse Chiara Parisi, et l’envie d’«accéder par la pratique artistique à l’inconscient, au rêve». Et de citer André Masson : «Pour nous surréalistes, la vraie prostituée, c’est la raison.»

Exils

En 1934, André Masson est témoin des manifestations d’extrême droite à Paris et quitte la France pour l’Espagne, où il ne tardera pas à être confronté à la guerre civile. Mais sa découverte du pays lui inspire des tableaux lumineux et colorés dans lesquels il réinterprète la nature, représente les travailleurs de la terre…

Deux motifs s’imposent durant cette période : les corridas, toujours dans l’optique de faire parler la violence (la Corrida mythologique de 1936 serait inspirée d’un épisode macabre dont Masson aurait été témoin, celui d’un matador qui, sous les huées du public, se serait empalé de lui-même sur les cornes du taureau), et les insectes, figures plus légères, positives et doucement comiques.

Masson refuse de quitter l’Espagne de Franco, mais tiendra durant cette période une vie clandestine (mais pas cachée) de dessinateur d’actualité pour des publications antifascistes, où il dénonce-dessine Franco, Mussolini et Hitler.

Il représentera aussi, en s’en moquant, la Guardia civil (En revenant de l’exécution, 1937) et le clergé. Si Masson développe à cette occasion «le goût du dessin grand format», ces réalisations à l’encre de Chine, qui refusent la caricature par la précision du trait, l’obligeront à fuir pour les États-Unis via la Martinique, où il est inspiré par le chaos luxuriant de la nature.

Cela se traduira dans l’évolution de son style par une «surenchère» des motifs et des lignes, que l’on peut notamment admirer dans Mon portrait au torrent, autoportrait de 1945.

Littérature

Ami de toujours d’André Breton (qui lui acheta ses deux premières toiles cubistes et avec qui il fondera la revue surréaliste Minotaure), Masson puise une grande partie de son inspiration dans la littérature et les mythologies antiques.

Au Centre Pompidou-Metz, un mur entier recrée la bibliothèque d’André Masson, avec ses livres, ses artefacts, ses pièces rares et ses tableaux. On peut y admirer, entre autres, les réinterprétations des grandes figures mythologiques, en dessins ou dans des toiles majestueuses.

Au fil du temps, la ligne errante de Masson s’est développée avec les techniques de l’art de la calligraphie, dont elle est autant un prolongement qu’une altération. L’artiste «a découvert la calligraphie au musée de Boston» et l’intègre également dans son travail.

À nouveau, son autoportrait et le portrait de Goethe affiché dans sa bibliothèque en sont deux exemples frappants. Doublée à l’encre ou calligraphiée, la ligne de Masson «devient un vocabulaire à part entière», souligne Chiara Parisi. De la peinture à l’écriture, il n’y a qu’un trait.

Érotisme

On entre et on sort de l’univers d’André Masson par les dessins érotiques, premières amours de l’artiste, et vers lesquelles il retournera des décennies plus tard.

Ami, aussi, de Georges Bataille, grand théoricien du sujet, Masson intègre l’érotisme à ses dessins et peintures, que ce soit de manière inconsciente, à travers le dessin automatique ou le geste des peintures de sable, ou parfaitement assumée, lorsqu’il illustre la Justine de Sade ou lorsqu’il développe une fascination pour les taureaux.

En 1947, Masson réalise «en 48 heures» Vingt-deux dessins sur le thème du désir, exemple tardif de ligne errante répondant à une pulsion créatrice (Masson lui-même parlait d’une «transe»).

Un «phénomène de l’inconscient» résultant en une collection de dessins «dans lesquels on retrouve tous les éléments de son œuvre», abonde Chiara Parisi : les mythologies, l’automatisme, la violence… Une dernière preuve que le surréaliste oublié montrait «un très grand éclectisme dans le style, en restant très proche et connecté à ses thématiques».

Jusqu’au 2 septembre. Centre Pompidou-Metz.

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