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[Album de la semaine] Tokyo, l’autre Terre promise du reggae


Sur la pochette dessinée par l’artiste japonais Nonchelee, on s’amusera à reconnaître les clins d’œil au folklore rasta : dreadlocks, soundsystem et cigarette de ganja, couplés à un style vestimentaire et aux objets du paysage culturel typiques de la capitale japonaise dans les années 1980. (Image Time Capsule)

Avec Tokyo Riddim 1976-1985, le label londonien Time Capsule offre un aperçu de l’influence du reggae et de la dub sur la scène musicale tokyoïte à travers huit pépites pop jusqu’ici inédites hors du Japon.

Lors de son voyage évènement au Japon en 1979, pour une série de concerts historiques au summum de sa carrière, Bob Marley a noué des liens durables avec les scènes jazz et d’avant-garde locales. À tel point que, l’année suivante, c’est au tour de quelques immenses artistes nippons, dont le percussionniste Hashita Masahito, la chanteuse Minako Yoshida ou le compositeur de légende Ryuichi Sakamoto, d’être invités à Kingston par la star jamaïcaine, pour une session d’enregistrement dans les studios Tuff Gong et Channel 1. Mélange électrisant entre le jazz fusion japonais et le reggae jamaïcain, le 45 tours Rasta instantané (en français, pourquoi pas?) avait fini d’officialiser les ponts entre les deux pays.

Si, au Japon comme en Occident, il a fallu attendre le succès de Bob Marley and the Wailers pour y voir la démocratisation du genre né en Jamaïque, des artistes de l’archipel s’en sont emparés bien avant la venue à Tokyo de son principal représentant. Le label londonien Time Capsule offre pour les fêtes de fin d’année un aperçu de l’influence du reggae et de la dub sur la scène musicale tokyoïte à travers huit pépites pop jusqu’ici inédites hors du Japon. Sur la pochette de Tokyo Riddim 1976-1985, dessinée par l’artiste japonais Nonchelee, on s’amusera à reconnaître les clins d’œil au folklore rasta : dreadlocks, soundsystem et cigarette de ganja, couplés à un style vestimentaire et aux objets du paysage culturel (le scooter, la miniradio portable) typiques de la capitale japonaise dans les années 1980.

Un témoignage de l’existence d’une veine reggae à l’apogée de la « city pop » japonaise

L’album est ainsi témoin de l’existence d’une veine reggae à l’apogée de la «city pop», de la même manière que les groupes The Police, UB40, Madness et encore Paul McCartney ont amalgamé au rock britannique les influences apprises auprès de pionniers et contemporains caribéens. Chu Kosaka troque sa voix de crooner pour un falsetto sur Music, rythmé par une ligne de basse dub et un saxophone langoureux en toile de fond : c’est l’exemple le plus éclatant de ce curieux mélange, hâtivement baptisé «J-reggae», qui transmet du reggae surtout une atmosphère. Le rythme de Natural Mystic de Bob Marley est repris dans Denshi Lenzi, mais Miki Hirayama y chante une tranche de vie névrosée et solitaire du Tokyo de l’époque. À l’inverse, Marlene reprend Hittin’ Me Where It Hurts, de la reine de la soul Roberta Flack, en croisant le jazz fusion, l’afrobeat et le gospel. La base reggae évolue en un «trip» dub, conférant au tout des airs de cabaret mystique.

Conformément à la pop urbaine japonaise de l’époque, on chante dans Tokyo Riddim l’amour et ses aléas (le sexy Lazy Love, d’Izumi Kobayashi, la romance de carte postale Tsukikage No Nagisa, de Miki Hirayama) ou le quotidien de la vie citadine. Avec Johannesburg, sorti en 1985, Junko Yagami fait figure d’exception au sein de cette compilation, en suivant le message d’amour et de paix que Bob Marley était venu délivrer six ans plus tôt dans son pays : dans un texte antiapartheid, elle chante la souffrance et l’espoir de l’Afrique du Sud. La simplicité virtuose de ses musiciens et choristes contribue aussi à faire de ce titre l’une des meilleures trouvailles de ce disque. La longue vocation de Time Capsule à creuser dans les trésors cachés de la musique japonaise, avec la collection Nippon Series, signe un nouveau temps fort avec ce Tokyo Riddim, quand les oiseaux de nuit de la pop citadine japonaise expérimentaient autour des rythmes ralentis et syncopés du reggae.

Compilation. Tokyo Riddim 1976-1985. Sortie le 18 décembre. Label Time Capsule. Genre reggae / pop

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