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[Album de la semaine] Thee Sinseers : soul à la cool 


Thee Sinseers

Sinseerly Yours

Sorti le 22 mars

Label Colemine Records

Genre soul

Voilà un bijou «vintage» qui, outre-Atlantique, est totalement passé sous les radars. Aucun journal spécialisé ne s’en est emparé, dont les préférences vont plus souvent à la country (ou, plus généralement, à ce qu’on appelle l’americana), genre bien plus porteur que la soul, surtout en termes d’auditoire.

Aux États-Unis, elle s’est pourtant inscrite dans l’Histoire à la fin des années 1950, dans une répercussion loin d’être localisée selon les origines de ses principaux ambassadeurs : Stax (Memphis), Motown (Détroit) et Atlantic Records (New York). Plutôt dommage quand aujourd’hui, de nombreux groupes et artistes suivent la trace laissée par Otis Redding, Isaac Hayes, Sam Cooke et autres Marvin Gaye, pour ne citer qu’eux.

Un bref coup d’œil sur le catalogue du label Colemine permet de s’en convaincre, avec des noms qui ne sont plus de simples promesses : Monophonics (et son leader Kelly Finnigan) ou encore Durand Jones & The Indications. Un nouveau vient de s’ajouter à la liste : Thee Sinseers.

Un collectif impressionnant, ne serait-ce qu’en raison du nombre de musiciens qui le compose : huit hommes et une femme, fagotés à l’ancienne avec robe, costards et lunettes de soleil, comme tout droit sortis d’une faille spatio-temporelle.

Sur la pochette, leur premier album se dévoile en grand, comme s’il était à l’affiche d’un vieux cinéma américain. Ça en dit long sur les intentions. Mais, et c’est tant mieux, elles ne sont pas trompeuses.

En 2019, le public des Trans Musicales de Rennes, festival pointu et défricheur, avait eu le privilège d’un aperçu du talent de la bande qui, fait assez rare pour le souligner, a eu le droit à un rappel. À l’époque, elle n’avait qu’une poignée de singles à défendre, dont le langoureux Seems Like (2020), tous composés par Joey Quinones, son chef d’orchestre.

Cet enfant du quartier d’East Los Angeles, cheveux gominés, aussi à l’aise à la trompette qu’au chant, à la guitare et aux claviers, est un fier représentant de la communauté latino-américaine pour laquelle le doo-wop et la «brown-eyed soul» (en opposition à celle jouée par les blancs) tiennent une place à part. À l’écoute, on en est convaincu.

Sinseerly Yours n’est ni une révolution ni un hommage trop appuyé à un héritage peut-être trop pesant. Il est coincé entre les deux : de la nostalgie et du rétro, visibles à travers les liens qu’il partage avec la pop des années 1960 et, certes plus rare, avec le dancehall jamaïcain de la décennie suivante.

Des influences qu’il contrecarre en se donnant une allure plus moderne et aux racines R&B, lui évitant au passage de tomber dans la parodie. Disons alors que les dix titres réunis ici sont intemporels, ce qui s’entend quand on sait qu’il y a tant à faire – et bien faire – avec ce son qui perce l’âme et met les émotions à vif.

Oui, on n’est jamais à l’abri des surprises, même anecdotiques, comme le cadre atypique de l’enregistrement, réalisé à Rialto (Californie) : un ancien cabinet dentaire reconverti en studio.

Loin du bruit de la roulette et de l’ambiance aseptisée du docteur, ce disque caresse l’oreille de son atmosphère apaisante. Tout est réuni dans cette optique : des instruments charmeurs (flûtes, cordes, cuivres), des chœurs tout en émotion qui se répondent, des harmonies en veux-tu en voilà, sans oublier un appétit pour les arrangements luxuriants.

Sur des ballades «mid-tempo», en dehors de l’exception Talking Back, morceau plus remuant et instrumental, Thee Sinseers racontent ce que d’autres ont déjà dit avant eux : l’âme déchirée, le cœur en morceaux et les peines d’amour presque inconsolables.

Sincère, le groupe l’est assurément avec cette collection de chansons délicates, à la cool, sans fausse note, rappelant la pépite livrée l’année dernière par Thee Sacred Souls, trio quant à lui hébergé chez Daptone, autre label de qualité. Ils ne seront jamais trop de deux pour assurer que la soul a de beaux jours devant elle. Et qu’à ce titre, elle mérite d’être entendue.

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