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[Album de la semaine] Makaya McCraven ressuscite Gil Scott-Heron

490_0008_15220244_gil_scott_heron_were_new_again_a_reimaCommençons d’abord par les présentations : d’un côté, un monstre de l’histoire de la musique américaine. Poète et écrivain subversif afro-américain, Gil Scott-Heron, considéré comme un des pères fondateurs du rap – on lui doit la paternité, dans les années 1960, du «spoken word», forme de poésie orale accompagnée ou non de musique –, passait l’arme à gauche en mai 2011, à l’âge de 62 ans, après des années de galère, de séjours en prison, de dépendance à la drogue, à l’alcool. Il laissera derrière lui une douzaine d’albums au style avant-gardiste, mêlant jazz, soul et blues (dont les excellents Pieces of a Man et Winter in America), deux romans et surtout une phrase : «The revolution will not be televised», répétée sur la chanson à laquelle elle donne son titre, brûlot incendiaire qui s’attaque aux médias, à la publicité, aux brutalités policières et aux inégalités sociales dont sont victimes les Noirs aux États-Unis.

De l’autre, un talentueux musicien qui monte, le batteur Makaya McCraven, 37 ans, qui, en seulement quelques albums et autres collaborations, s’est déjà taillé une solide réputation dans le milieu du jazz en général, et la scène de Chicago en particulier. Sa signature ? Sampler sa propre musique, qu’il découpe et triture à souhait. Normal, donc, qu’un jour il fasse de même avec celle d’un autre.

Car entre les deux hommes, entre la légende et la promesse, on trouve un disque, I’m New Here, sorti il y a tout juste dix ans. En l’occurrence, le dernier de Gil Scott-Heron, qui lui permettra de revenir au premier plan. Un album étonnant, en équilibre entre ombre et lumière, porté par un flow crépusculaire et un blues chétif. Une œuvre permise, aussi, par Richard Russell, le patron du label britannique XL Recordings, qui, comme Rick Rubin l’a fait en son temps avec Johnny Cash, a attrapé Gil Scott-Heron (au cœur de la prison de Rikers Island à New York tout de même) au moment où tout le monde se détournait de lui, lui offrant là une renaissance inespérée, et ce, juste avant sa mort du sida. Pourtant, à l’époque, le «parrain du rap» ne se sentait pas légitime de poser son nom sur l’ouvrage, effectivement construit sur la base de nombreux fragments collectés.

Malgré tout, une décennie plus tard – et après une première (et très réussie) réappropriation signée Jamie XX (We’re New Here, 2011) –, les chansons, les poèmes et les conversations que Gil Scott-Heron a eus avec Richard Russell renaissent d’entre les limbes, et ce, grâce aux talents de «collagiste» de Makaya McCraven. En effet, ce dernier a manié l’œuvre originale avec soin et respect, cherchant à en tirer la quintessence et à en magnifier les origines.

Il va ainsi lui donner un souffle revigorant, une ampleur inattendue, sans pour autant perdre de vue son colossal modèle. Sur dix-huit morceaux et divers interludes, entre expérimentations organiques et électroniques, on passe d’envolées jazzy aux airs spirituels à du blues-soul «habité» qui donne la chair de poule, en passant par des samples en tout genre et de pures impulsions hip-hop. Avec grâce, et sur un groove impeccable, Makaya McCraven synthétise tous les styles, et les humeurs, qui avaient du sens aux yeux de Gil Scott-Heron. Ceux, finalement, qui ont fait toute la musique noire du XXe siècle. Et réentendre cette voix caverneuse, portant en elle toutes les joies et douleurs d’un homme rare qui a tout connu, est assez bouleversant. Oui, on ne pouvait espérer plus bel hommage.

Grégory Cimatti

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