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[Album de la semaine] «Corpse Flower», une jolie fleur carnivore


"Corpse Flower" libère un «rock» harmonique d'où se dégage une douceur élégante mais aux effluves dangereux. (capture vidéo YouTube)

C’est le genre d’association tombée du ciel, sans prévenir, qui ne laisse personne indifférent. Un peu comme quand Sting décide de s’acoquiner avec Shaggy (en plus sérieux quand même) ou quand, il y a peu de temps en arrière, fleurissaient des collectifs pleins de promesses, au casting XXL, des «supergroupes» comme on dit, qui n’en ont d’ailleurs – pour la grosse majorité d’entre eux – que le nom.

D’un côté, Mike Patton, inclassable activiste du rock américain, chanteur-musicien trop souvent réduit à son rôle de leader de Faith No More, alors qu’il est engagé, depuis des années, dans de multiples projets audacieux, entre metal et expérimental (Mr. Bungle, Fantômas…).

De l’autre, Jean-Claude Vannier, compositeur français de renom et arrangeur de grande classe, dont la liste de collaborations, étalées sur plusieurs décennies, donne le tournis – Françoise Hardy, Michel Jonasz, Mike Brandt, Michel Polnareff, Claude Nougaro ou Brigitte Fontaine –, mais surtout connu pour son association avec Serge Gainsbourg sur le culte Histoire de Melody Nelson (1971). C’est d’ailleurs lors d’une rétrospective consacrée à ce dernier, en 2011, que les deux hommes se sont rencontrés.

Avec deux ovnis de la sorte, qui envisagent la musique comme une grande aventure, pourvu que les chemins de traverse soient nombreux et que le coupe-coupe soit suffisamment aiguisé pour se tailler une route scabreuse, il fallait ainsi s’attendre à un résultat singulier, décalé, audacieux. En un mot, inclassable. Corpse Flower – premier album, au passage, que Jean-Claude Vannier daigne enregistrer avec un interprète non francophone – est bien de cet acabit. Rare et insaisissable. Beau et chaotique.

Rien d’étonnant qu’il paraisse chez Ipecac, label justement cofondé par Patton, adepte du «on n’est jamais mieux servi que par soi-même», car son enregistrement même fait déjà un pied de nez aux réflexes du milieu. En effet, les deux auteurs étant séparés de plusieurs milliers de kilomètres (l’un étant basé à Paris et l’autre à San Francisco), le disque a été conçu à distance, correspondance musicale à voir comme un ping-pong transatlantique.

Fort de noms qui font sens – Smokey Hormel (Johnny Cash), Justin Meldal-Johnsen (Nine Inch Nails), James Gadson (Beck) ou encore Bernard Paganotti (Magma) – Corpse Flower emmène l’auditeur vers un monde ténébreux, sulfureux, vénéneux, que ne renierait pas un Tom Waits. Le plus surprenant est que, tout aussi chaotique soit-il, l’album reste fidèle à l’univers cher aux deux hommes.

On y retrouve, en effet, le sens du décalage de Mike Patton comme sa folie à fleur de peau qui prennent vie sous ses beuglements; les arrangements, les cordes somptueuses et les envolées mélodiques propres à Jean-Claude Vannier. Un «rock» harmonique d’où se dégage une douceur élégante mais aux effluves dangereux, comme une jolie fleur carnivore.

Grégory Cimatti

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