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[Album de la semaine] Baxter Dury, initiales B. D.


Baxter Dury ne s'est pas fait seulement un prénom : il a fait les choses en grand, se construisant tout un univers. (capture YouTube)

Il faut d’abord se laisser aller aux appels de la basse, ronde, aguicheuse. Puis succomber à la légère avancée de la batterie, évidente invitation à la déambulation, nocturne de préférence, le long des bars agités, des trottoirs aux mégots et sous la chaleur des néons rouges, conviant à perdre la raison. Traînant son costume blanc défraîchi, l’œil triste et l’arrogance portée comme un flingue, Baxter Dury ne sera sûrement pas loin, à l’ombre d’une nouvelle soirée d’errance. Qu’importe le rythme d’ailleurs, l’essentiel tient, pour lui, à l’avancée. Coûte que coûte.

Car longtemps, il s’est senti trop petit, portant bien malgré lui le lourd héritage paternel. Un «fils de», comme on dit, en l’occurrence celui d’Ian Dury, à qui l’on doit la paternité (encore une !) de la chanson Sex & Drugs & Rock & Roll (1977), devenue même maxime d’une époque durant laquelle il a contribué à la mode de l’épingle à nourrice et du doigt d’honneur en compagnie de ses fidèles Blockheads. Comme Luke Skywalker dans Star Wars, Baxter Dury a réglé son complexe d’Œdipe après la disparition du père, début 2000, d’abord avec deux albums restés tristement anonymes (Len Parrot’s Memorial Lift et Floor Show), avant celui de l’affirmation, Happy Soup (2011), et cette chanson, lascive et entêtante, Claire.

Une mise en lumière méritée qui allait transformer subitement l’homme en crooner désabusé et dandy cabossé, attributs qu’il porte, comme une croix ou avec élégance, c’est selon, d’abord sur It’s a Pleasure (2014), aux chefs-d’œuvre de pop tordue, puis sur Prince of Tears (2017), dans lequel il narre, tout chagrin, sa propre désillusion amoureuse. The Night Chancers est donc son sixième disque, un chiffre qui compte, ne serait-ce que pour enterrer la pesante filiation.

De toute façon, Baxter Dury ne s’est pas fait seulement un prénom : il a fait les choses en grand, se construisant tout un univers. Le sien est reconnaissable entre tous. Il y a d’abord ce spoken word fatigué, coupé au couteau par un accent cockney, cette musique qui colle à la peau, sorte de funk moite et mélancolique, ces envolées de violons, ces mélodies synthétiques, et, au-dessus de tout, les voix de Madelaine Hart, Rose Elinor Dougall et Delilah Holliday, créant un dialogue permanent et sensuel avec le chanteur. Mélanger le tout, et on obtient des chansons, dix pour le coup, au charme vicieux et au glamour terne, avec toute la retenue qu’impose une certaine classe. Et Baxter Dury en a, sauf peut-être lorsqu’il enfile un marcel dégueulasse et laisse briller la chaîne en or dans le clip débraillé de Slumlord, soit le roi des poubelles. La chanson est elle pourtant d’une élégance rare.

Un peu comme l’a fait Andy Shauf, à sa manière, dans The Neon Skyline, autre belle réussite de 2020, The Night Chancers est constitué de chapitres, quasi cinématographiques, à voir comme autant de chroniques lucides et ironiques de la nuit, ses lieux et surtout ses rencontres, aux parts d’ombre que l’obscurité révèle. Dans ce grand cirque humain, Baxter Dury avance à pas chaloupés au cœur de fêtes poisseuses, décadentes, et souvent décevantes, réponses à un séjour amoureux – et calamiteux – qu’il a vécu à l’hôtel Amour, dans le quartier chaud de Pigalle, point de départ du disque. D’ailleurs, ici et là, traînent quelques phrases en français dans le texte, témoins de cet épisode parisien.

Finalement, avec sa fausse nonchalance, sa réelle émotivité, son sarcasme, son chant qui n’en est pas un, ses élans orchestraux, sans oublier, bien évidemment, ces femmes, permanentes et fortes, qui l’accompagnent jusque dans sa tête, comme des voix intérieures, Baxter Dury se rapproche de plus en plus d’une de ses idoles, Serge Gainsbourg, tout aussi soucieux, en son temps, du port du costume décontracté. Un autre modèle, dont il porte clairement les traits, dans une veine certes plus british . Une nouvelle filiation de poids pour lui. Lui chasserait sûrement le rapprochement avec désinvolture, expliquant qui n’en est plus à ça près.

Grégory Cimatti

Un commentaire

  1. Honnêtement, je ne trouve pas d’autres artistes qui correspondent à son style unique !

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