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À Hollywood, chefs-d’œuvre et vieilles bobines


Des boîtes métalliques stockées du sol au plafond, dans des salles à l’humidité contrôlée. Une poignée de spécialistes travaillent à la conservation d’un million de bobines de cinéma, trésor bien gardé qui constitue la mémoire précieuse et fragile d’Hollywood.

Pendant que les stars du moment montent les marches à Cannes, de petites mains à l’autre bout du monde livrent dans l’ombre une bataille contre le temps : sauvegarder pour les grands studios des kilomètres de pellicules d’originaux de chefs-d’œuvre du cinéma américain. La grande peur, c’est le syndrome dit du vinaigre, la dégradation de la pellicule d’acétate en acide acétique, ce qui «empêche alors qu’elle soit utilisée», explique Tim Knapp, responsable au sein de la société spécialisée Pro-Tek Vaults. Car ce qui est aujourd’hui fabriqué et regardé quasi exclusivement en version numérique se fit, de la naissance du cinéma jusqu’à récemment, via des matériaux instables.

À l’aube de l’image animée fut la pellicule de nitrate. Noir profond, dégradés de gris, fort contraste, cette technique fut celle de Charlie Chaplin, Buster Keaton et des autres pères fondateurs. Mais le nitrate est inflammable, très inflammable. Tellement de brasiers se sont déclenchés dans des salles de cinémas que des régies de projections furent ignifugées. Même en stocker revient à jouer avec le feu : en 1914, un trésor d’archives des premières années du cinéma américain est réduit en cendres dans un immense brasier.

Au début des années 1950, l’arrivée de la pellicule d’acétate est saluée par toute l’industrie du cinéma : enfin un matériau qui capture des images de qualité sans qu’il ne s’enflamme. Mais se cache dans cette innovation tant attendue une bombe à retardement. Mal conservée, une bobine peut, en quinze ans, se transformer en un vulgaire bout de plastique aux relents de vinaigre. Illisible.

C’est pour éviter la ruine d’archives – originaux d’œuvres connues comme pépites oubliées – que Pro-Tek Vaults et d’autres spécialistes contrôlent si délicatement la température et le taux d’humidité de leurs salles de stockage. «Cela vous permet de conserver au mieux des exemplaires, bien souvent des originaux, qui peuvent être utilisés pour faire des copies ou être numérisées au fil du temps», explique le patron, Doug Sylvester. Et au moment où les géants du secteur tentent de tirer des vieux titres de leur catalogue davantage de revenus, entre rediffusion et vente aux plateformes de streaming, la sauvegarde de leur patrimoine est devenue plus cruciale encore.

S’y ajoute la persistance de la pellicule. Si la grande majorité des tournages actuels se font avec des caméras numériques, une poignée d’irréductibles parmi les réalisateurs tiennent à cette technique qui n’enferme pas la lumière sur un nombre défini de pixels. Christopher Nolan a ainsi tourné une partie de son film multirécompensé Oppenheimer (2023) sur celluloïd, tandis que Steven Spielberg a retrouvé les différents formats de pellicule qu’il a utilisés durant sa carrière pour tourner son film autobiographique, The Fabelmans (2022).

Dans les salles de conservation de Pro-Tek Vaults sont stockées des milliers d’heures de longs métrages, mais aussi d’émissions de télévision, d’archives présidentielles ou même de clips musicaux. Au total, un demi-million de kilomètres de pellicules, vidéosurveillées dans des hangars à Burbank et Thousand Oaks, au nord de Los Angeles.

L’enjeu est de ne pas se faire voler les négatifs originaux d’un grand film. Lesquels sont-ils jalousement gardés dans les chambres fortes? Doug Sylvester et son entreprise restent discrets sur ce sujet. Un indice peut-être : sur leurs murs, les affiches de West Side Story (Robert Wise et Jerome Robbins, 1961) ou Back to the Future 2 (Robert Zemeckis, 1989). «Par sécurité, (nos clients) préfèrent qu’on reste vague», précise Doug Sylvester. «Je peux vous dire qu’il y a certains des grands classiques», se félicite-t-il cependant. «Si vous regardez la liste des 100 plus grands films de l’Institut du film américain (AFI), nombre d’entre eux sont dans notre inventaire.»

En plus de conserver des trésors enfermés dans ce fragile acétate, les salariés mènent un travail de fourmi : la recension et la numérisation d’œuvres, parfois inconnues de leur propriétaire. Ils ont ainsi sorti des oubliettes des images inédites d’un concert des Guns N’ Roses pour Universal Music et ont restauré des clips vidéo de Johnny Cash, Bon Jovi ou The Cranberries. Retrouver ces perles, c’est le bonheur de son travail, dit Doug Sylvester. «Ça fait partie de notre histoire culturelle, et nous nous réjouissons de participer à leur conservation pour le futur.»

Si vous regardez la liste des 100  plus grands films de l’AFI, nombre d’entre eux sont dans notre inventaire

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