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À Chypre, l’art veut apporter sa pierre à la paix


Un enfant touche une sculpture lors d'une exposition à Paphos. (Photo : AFP)

Avec application, Selma Bolayir, Chypriote turque, dessine un soleil sur la photographie en noir et blanc d’un soldat en larmes. A Paphos, capitale européenne de la culture 2017, l’art sert aussi d’exutoire aux déchirures de la guerre.

« J’ai choisi cette image car en tant que mère, elle m’a touchée », explique cette femme élégante de 73 ans. « Avec la guerre, tout le monde est perdant: les mères, les enfants et les soldats. » Dans la cité balnéaire du sud de l’île, une dizaine de Chypriotes – grecs et turcs – se prêtent au jeu de la thérapie artistique pour surmonter les expériences traumatiques du conflit ayant conduit à la division de leur pays il y a quatre décennies. Après avoir choisi un cliché de guerre en noir et blanc de photojournalistes renommés comme Robert Capa ou Nick Ut, ils sont invités à y apposer une touche de couleur et dévoiler leur ressenti, une façon d’explorer leur passé et la mémoire collective. En quelques instants, teintes chaudes et messages de paix viennent se glisser entre les armes.

Selma a choisi une photo prise par Nick Ut en 1974 représentant un soldat sud-vietnamien assis, les genoux relevés et la tête enfouie dans ses bras. Elle y crayonne une citation du poète turc Nazim Hikmet. « Cela signifie : Un jour le soleil se lèvera pour vous, mes enfants J’espère que le soleil se lèvera aussi pour tous les Chypriotes », confie-t-elle, alors que de fragiles négociations de paix sont en cours.

« Nous avons tous souffert »

Originaire de Paphos, Selma fait partie des milliers de personnes déplacées entre le sud et le nord après l’invasion en 1974 des troupes turques dans le tiers nord de l’île. Les Chypriotes turcs vivant dans le sud de l’île ont été contraints de se réfugier dans le nord et inversement pour les Chypriotes grecs. « Nous avons tous souffert de cette guerre, mais cela reste un sujet tabou », explique la fille de Selma, Asli, artiste et thérapeute à l’origine de cet atelier bi-communautaire. Mais 43 ans après la division de l’île, elle comme sa mère croient plus que jamais à une réunification du pays.

« Ici, nous utilisons cette violence pour la transformer en espoir. L’art nous aide à changer de point de vue », ajoute cette femme aux longs cheveux ondulés. Parmi les dizaines de manifestations culturelles organisées à Paphos jusqu’à la fin de l’année, plusieurs mettent en scène le dialogue entre les deux communautés de l’île. Dans une salle sont présentées les oeuvres de deux artistes chypriotes, l’un appartenant à la communauté grecque, l’autre turque. La plupart sont l’oeuvre de Andy Hadjiadamos, qui a étudié en Afrique du Sud et dont les travaux reflètent une forte influence africaine, telle une sculpture en bois représentant la tête d’un homme.

« Langage commun »

Chypriote grec, il a dû fuir à la hâte en 1974 son atelier à Famagouste, une ville située sur la côte est qui se trouve aujourd’hui dans la République turque de Chypre du Nord (RTCN, reconnue seulement par Ankara), abandonnant tout son travail. Il n’aurait probablement jamais imaginé que ses créations seraient « sauvées » par un Chypriote turc, lui aussi artiste, Baki Bogac. Baki Bogac, qui faisait partie d’une équipe inspectant des bâtiments abandonnés, est tombé sur ces oeuvres, et en a décelé immédiatement la valeur.

« J’en ai pris soin chez moi. Lorsque j’ai retrouvé la famille de leur propriétaire, j’étais comblé », se souvient Baki Bogac, 66 ans, lors de l’inauguration de l’exposition. Décédé en 1990, Andy Hadjiadamos n’a jamais rencontré Baki mais ce dernier confie avoir trouvé parmi ses proches une « seconde famille », au delà des différences politiques. « Nous pouvons agir ensemble en tant que Chypriotes, pour créer de nouvelles choses », lance-t-il, la voix tremblante, dans son discours en présence du président de la République Nicos Anastasiades.

Quelques mètres plus loin, Prodromos Andreou, étudiant chypriote grec en littérature, observe les sculptures d’un œil attentif. « Malheureusement beaucoup de mes amis sont encore réfractaires à ce genre de démarche », déplore le jeune homme de 27 ans, sac en bandoulière et baskets aux pieds. « Pourtant, elle est essentielle pour rassembler les gens. L’art est un langage commun. Tout le monde peut y voir un même message, loin de la politique. »

Le Quotidien/AFP

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