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Verdict LuxLeaks : reconnus comme « lanceurs d’alerte », mais condamnés


L'affluence était énorme pour le prononcé dans l'affaire LuxLeaks, hier. À la sortie de l'audience, une véritable forêt de micros attendait Antoine Deltour, Raphaël Halet ainsi que leurs avocats. (photo Hervé Montaigu)

En première instance, les deux lanceurs d’alerte à l’ origine des révélations de l’affaire LuxLeaks ont écopé d’une peine de prison avec sursis ainsi qu’une amende. Le journaliste, quant à lui, a été acquitté.

C’est dans une salle comble que la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement a donné lecture, mercredi après-midi, du jugement. Peu avant 15h, les prévenus Antoine Deltour et Raphaël Halet, accompagnés de leurs avocats, ont fait leur entrée dans la salle d’audience. Le troisième prévenu, Édouard Perrin, quant à lui, n’était pas présent pour le prononcé du jugement.

Il avait fallu trois semaines, plus exactement huit journées d’audience, pour boucler les débats dans le procès LuxLeaks. Alors que les avocats à la défense des prévenus avaient plaidé l’acquittement, le procureur d’État adjoint David Lentz avait requis 18 mois de prison et une amende à l’encontre d’Antoine Deltour et Raphaël Halet à l ‘ origine des révélations de l’affaire LuxLeaks. Mais il avait précisé qu’il ne s’opposait pas à ce que la peine soit assortie d’un sursis intégral. Contre le journaliste Édouard Perrin, le parquet avait demandé une amende.

Le verdict clôturant le procès LuxLeaks était très attendu. Finalement, le tribunal n’a suivi qu’en partie les réquisitions du parquet. Alors qu’Antoine Deltour a été condamné à 12 mois de prison avec sursis et à une amende de 1 500 euros, Raphaël Halet a écopé de neuf mois de prison avec sursis et d’une amende de 1 000 euros. Outre la peine, Antoine Deltour et Raphaël Halet sont condamnés à payer le montant d’un euro symbolique à la partie civile PricewaterhouseCoopers (PwC).

Comme l’ex-auditeur Antoine Deltour (30 ans), l’ex-collaborateur de PwC Raphaël Halet (39 ans) était poursuivi pour vol domestique, divulgation de secrets d’affaires, violation du secret professionnel et blanchiment-détention des documents volés chez PwC.

Considérés comme lanceurs d’alerte

La veille de son départ de PwC, le 13 octobre 2010, Antoine Deltour avait copié en 29 minutes les 45 000 pages de documents concernant plus de 400 rescrits fiscaux

Raphaël Halet, pour sa part, avait libre accès aux documents dérobés en tant que membre, depuis 2011, de la cellule «tax process support» chargée notamment du scanning de centaines de documents de PwC. C’est ainsi qu’en 2012 il soustrait 16 fichiers contenant des déclarations fiscales d’entreprises clientes.

Dans leur jugement, les juges disent tenir compte, pour la peine, de la moindre gravité des infractions retenues contre Raphaël Halet, qui n’a pas soustrait d’autres documents que ceux qu’il a transmis au journaliste.

Lire aussi : les réactions d’Antoine Deltour, Raphaël Halet et de leurs avocats

 

Pour le procureur d’État adjoint, Antoine Deltour et Raphaël Halet n’étaient pas des lanceurs d’alerte au moment où ils ont dérobé les documents confidentiels. « Il sait qu’il dérobe des documents confidentiels. Il n’avait pas de but avoué. Il a commis un vol. C’est tout. À ce moment, c’est un délinquant de droit commun, pas un lanceur d’alerte », avait ainsi estimé le procureur d’État adjoint au sujet d’Antoine Deltour.

Mais le tribunal correctionnel a retenu comme acquis le fait qu’Antoine Deltour et Raphaël Halet sont aujourd’hui à considérer comme des lanceurs d’alerte : «Effectivement on ne peut pas sérieusement, en 2016 – après l’éclatement du scandale LuxLeaks et de ses conséquences mondiales – admettre le contraire.» «Il est encore incontestable que les divulgations d’Antoine Deltour et également celles de Raphaël Halet relèvent aujourd’hui de l’intérêt général ayant eu comme conséquence une plus grande transparence et équité fiscale», retient par ailleurs le jugement.

Le journaliste Édouard Perrin (44 ans), quant à lui, devait répondre comme coauteur des infractions de divulgation de secrets d’affaires et de violation du secret professionnel et, comme auteur, de l’infraction de blanchiment-détention des seuls documents soustraits par Raphaël Halet. Hier, il a été acquitté des infractions non établies à sa charge.

Ils feront appel

À la fin des débats début mai, les avocats de la défense avaient critiqué le fait que le ministère public ait recadré les débats en se basant sur le seul code pénal luxembourgeois. Car ils avaient appelé la justice luxembourgeoise à appliquer la jurisprudence européenne. Ils avaient soulevé l’intérêt général de l’action de Raphaël Halet et Antoine Deltour. « PwC a mis en œuvre la promotion d’une évasion fiscale à une échelle industrielle », avait ainsi constaté M e Bernard Colin, l’avocat de Raphaël Halet. Même refrain du côté de la défense du journaliste. « Il s’agit de faire la balance entre les intérêts commerciaux de PwC et l’intérêt du public », avait estimé M e Olivier Chappuis.

« Vous avez 40 jours pour faire appel », a rappelé le président à la fin de l’audience, hier, à Antoine Deltour et Raphaël Halet. Les avocats n’ont pas attendu de lire à tête reposée le détail des 65 pages du jugement. Dès la fin de l’audience mercredi, ils ont annoncé faire appel. Chose qui a d’ailleurs aussitôt été faite, dès mercredi, par Me May Nalepa, l’avocate de Raphaël Halet.

Fabienne Armborst