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Procès LuxLeaks : « Je vous demande de me juger comme un lanceur d’alerte »


Antoine Deltour a tenu à s'exprimer une dernière fois à la barre, ce mercredi après-midi. (photo Hervé Montaigu)

Ultimes plaidoiries ce mercredi après-midi lors de la 8e et dernière audience du procès LuxLeaks. Antoine Deltour et Raphaël Halet sont-ils de simples « voleurs » ou bien des « lanceurs d’alerte » aux yeux de la justice ? Le tribunal de Luxembourg rendra sa décision le 29 juin.

« Je vous demande de me juger, non pas comme un délinquant, mais comme un lanceur d’alerte. » Les derniers mots prononcés à la barre par Antoine Deltour résument la décision que devront prendre les trois juges de la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg. Appliquer la Convention européenne des droits de l’Homme, ou bien le seul code pénal luxembourgeois.

Ce mercredi, les avocats de PwC (partie civile) et de la défense ont brièvement « répliqué » aux réquisitions faites la veille par le parquet, qui avait réclamé 18 mois de prison pour Raphaël Halet et Antoine Deltour, et une amende contre le journaliste Edouard Perrin.

PwC ne souhaite « pas s’égarer dans un débat politique »

Les avocats du cabinet d'audit PwC. (photo Hervé Montaigu)

Les avocats du cabinet d’audit PwC. (photo Hervé Montaigu)

Chacun a maintenu ses lignes d’attaque et de défense. Me Hansen, avocat de PwC, a d’abord répété, comme le procureur mardi, que les deux ex-employés du cabinet n’étaient pas selon lui des lanceurs d’alerte. Raphaël Halet aurait ainsi pris contact avec le journaliste Edouard Perrin uniquement pour débusquer la première taupe (Antoine Deltour).  « La métamorphose de Raphaël Halet d’enquêteur en lanceur d’alerte au fil de la procédure est stupéfiante », a maintenu Me Hansen. Quant à Antoine Deltour, il ne serait « devenu l’ambassadeur de la transparence qu’au moment où il ne pouvait plus se cacher ».

Et le jeune conseil de PwC de balayer d’une petite phrase tout le volet de l’évasion fiscale : « Ma mandante ne souhaite pas s’égarer dans un débat politique. »

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Un refus qui a fait bondir Me Bernard Colin, avocat de Raphaël Halet : « On assiste à ce procès à un numéro de duettistes entre PwC et le procureur ». Les conseils de l’ex-agent administratif de PwC ont rappelé l’argument numéro 1 de la défense, à savoir la Convention européenne des droits de l’Homme protégeant les lanceurs d’alerte. « MM.Halet et Deltour ont aussi le droit derrière eux, pas seulement la morale », a insisté Me May Nalepa.

« Le procureur a fait une coupe sombre »

Incisif, Me Colin n’a pas du tout digéré le contenu des réquisitions : « Le résumé fait par le procureur est une coupe sombre qui recadre le débat sur le seul droit pénal luxembourgeois. A ce moment-là, il ne fallait pas organiser un procès de trois semaines ! MM. Halet et Deltour ayant reconnu la matérialité des faits qui leur sont reprochés, en trois heures c’était plié, ils étaient condamnés. »

L’avocat a poursuivi : « M. le procureur, vous ne pouvez pas avoir raison seul contre tous, notamment contre l’avis du Parlement européen. Tout le monde se serait trompé depuis le début ? Ce ne sont pas des lanceurs d’alerte ? » Pour l’avocat, il est tout simplement « abject » de « remettre en cause les motivations » de Raphaël Halet et de maintenir la théorie du « débusqueur de taupe », explication première donnée par Halet sous la pression, une fois coincé par un accord de confidentialité conclu avec PwC, et largement modifiée depuis.

Me Colin et Me Nalepa, avocats de Raphaël Halet. (photo JC Ernst)

Me Colin et Me Nalepa, avocats de Raphaël Halet. (photo JC Ernst)

« Et le papier à en-tête chez PwC ? Je m’étonne qu’aucune enquête ne soit ouverte »

Me Colin en a également remis une couche sur la prétendue légalité des tax rulings, mise en avant par le procureur pour disqualifier toute reconnaissance du statut de lanceur d’alerte. Rappelant le redressement de McDonald’s de 300 millions d’euros par le fisc français, l’avocat a recadré : « On a utilisé des moyens légaux (ndlr : les rulings) pour faire des pratiques illégales. »

Et de s’étonner plutôt « qu’aucune enquête préliminaire ne soit ouverte » sur l’utilisation de papier à en-tête de l’administration fiscale par PwC et le Big Four, révélée lors de l’audition de Raphaël Halet, « alors que le procureur se fait le chantre de la défense de la société civile ». Me Bernard Colin a à ce sujet cité un éditorial écrit par le rédacteur en chef du Quotidien, Fabien Grasser : « On ne peut pas confier les clés de la maison luxembourgeoise à une société privée. »

Raphaël Halet à son arrivée au tribunal d'arrondissement de Luxembourg, ce mercredi 11 mai. (photo Hervé Montaigu)

Raphaël Halet à son arrivée au tribunal d’arrondissement de Luxembourg, ce mercredi 11 mai. (photo Hervé Montaigu)

« Non, tout le monde ne peut pas se proclamer lanceur d’alerte »

Quant à l’avocat d’Antoine Deltour, Me Philippe Penning, il a rappelé que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) définissait « des critères bien précis » sur les lanceurs d’alerte : « Non, tout le monde ne peut pas se proclamer lanceur d’alerte », a-t-il répété en regardant le représentant du parquet. « A entendre le procureur, les audiences ont été transparentes pour lui. S’il a écrit son réquisitoire avant les débats, il n’a pas dû beaucoup le changer. »

Me Penning a surtout consacré son ultime intervention à plaider la sincérité de la motivation de son client le soir-même où il copié les documents : « Ce jour-là, Antoine Deltour avait déjà l’intention de combattre ces pratiques fiscales, même s’il ne savait pas encore comment il allait s’y prendre. » Le parquet et PwC ont toujours maintenu que l’ex-auditeur s’était « inventé » cette motivation plus tard, pour les besoins de sa défense.

Les avocats d'Antoine Deltour, Me Penning et Me Bourdon. (photo JC Ernst)

Les avocats d’Antoine Deltour, Me Penning et Me Bourdon. (photo JC Ernst)

« Si j’ai copié ces documents, c’est parce qu’ils heurtaient ma conscience »

Après une dernière plaidoirie des avocats du journaliste Edouard Perrin (lire l’encadré ci-dessous), les prévenus ont eu le dernier mot. Halet et Perrin ont préféré ne rien ajouter.

Antoine Deltour, lui, a tenu à a redire une nouvelle fois les raisons de son acte : « On m’accuse d’acrobaties intellectuelles ex post (ndlr : après les faits). Je le répète, au moment où je copie les tax rulings, ma démarche est déjà une démarche citoyenne. Si j’ai copié ces documents, c’est parce qu’ils heurtaient ma conscience. Mon indignation face à ces pratiques fiscales est née avant (le 13 octobre 2010). C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai démissionné. Aucun élément ne met en doute la sincérité de ma démarche. Je vous demande de me juger, non pas comme un délinquant, mais comme un lanceur d’alerte. »

Applaudissements dans la salle. Le délibéré sera rendu le 29 juin.

Sylvain Amiotte

« La présence d’Edouard Perrin sur le banc des accusés est une anomalie »

Le procureur d'Etat adjoint, David Lentz. (photo JC Ernst)

Le procureur d’Etat adjoint, David Lentz. (photo JC Ernst)

Après le vrai-faux réquisitoire du procureur qui a réclamé mardi une amende contre le journaliste français, son avocat Me Olivier Chappuis a soulevé une incohérence évidente de ce procès : alors qu’il a été véritablement « entreprenant » avec Antoine Deltour pour obtenir copie de ses 45000 pages de « tax rulings » (prise de contact, rencontre au domicile de Deltour, demande active des documents dont il connaît le caractère confidentiel…), Perrin n’est aucunement inculpé sur ce volet de l’affaire. « Normal, il a simplement fait son travail de journaliste. »

« Une pièce diabolique qui a fait dire à M.Halet n’importe quoi »

Non, Edouard Perrin est inculpé pour violation de secret professionnel et divulgation de secret d’affaires uniquement pour les seize déclarations fiscales – « des données non confidentielles qui sont publiées dans les registres du commerce » – que lui a transmises Raphaël Halet. Or les échanges de mails montrent, à l’inverse de sa démarche à l’égard de Deltour, que Perrin a été totalement passif dans cette transmission, Halet l’ayant sollicité. « C’est totalement incongru, la présence d’Edouard Perrin sur le banc des accusés est une anomalie », a pointé Me Chappuis.

Si le journaliste est poursuivi, a-t-il continué, c’est à cause de « l’accord transactionnel scandaleux » conclu entre PwC et Raphaël Halet fin 2014 (le cabinet avait inclus une clause de confidentialité de 10 millions d’euros), « une pièce diabolique qui a fait dire à M.Halet n’importe quoi ».

Le journaliste Edouard Perrin, ce mercredi 11 mai, au dernier jour du procès LuxLeaks. (photo Hervé Montaigu)

Le journaliste Edouard Perrin, ce mercredi 11 mai, au dernier jour du procès LuxLeaks. (photo Hervé Montaigu)

« Ou bien il est relaxé, ou bien il fera condamner le Luxembourg à Strasbourg »

Et le conseil d’Edouard Perrin de conclure sur le réquisitoire contradictoire du procureur David Lentz, qui a tout à la fois félicité le journaliste « pour être allé au bout des choses » dans son travail, et demandé sa condamnation. « On ne peut pas tresser des lauriers à Edouard Perrin et dire qu’il a franchi la ligne jaune. C’est totalement inaudible ! », a lancé Me Chappuis.

L’avocat a annoncé la couleur face aux juges : « Le condamner à une amende aussi dérisoire soit-elle serait insupportable pour M.Perrin. Ou bien il est relaxé, ou bien il fera condamner le Luxembourg à Strasbourg (ndlr : devant la Cour européenne des droits de l’Homme). »