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Procès LuxLeaks (1er jour) : « Oui, les documents étaient faciles d’accès »


Raphaël Halet et Antoine Deltour, les deux ex-employés de PwC Luxembourg accusés d'avoir copié des documents fiscaux. (photo AFP)

Au premier jour du procès LuxLeaks, mardi matin, l’auditrice interne de PwC a expliqué comment Antoine Deltour et Raphaël Halet avaient accédé aux documents confidentiels avant de les divulguer.

C’est dans une salle d’audience comble que le procès LuxLeaks s’est ouvert, mardi matin. Antoine Deltour (30 ans) a fait son entrée vers 8h40, sous l’œil des objectifs d’une quarantaine de médias. Les deux autres prévenus, Édouard Perrin (44 ans) et Raphaël Halet (39 ans), ont suivi quelques minutes plus tard.

« Je reconnais la matérialité des faits. » Voilà les mots d’Antoine Deltour, accusé notamment d’avoir volé chez PricewaterhouseCoopers (PwC) 45 000 pages de documents contenant plus de 400 rescrits fiscaux (ou tax rulings), mardi matin dans sa première prise de position à la barre.

Le deuxième ancien collaborateur de PwC Raphaël Halet, poursuivi entre autres pour avoir soustrait au moins 16  fichiers contenant des déclarations fiscales de clients et les avoir divulgués, dit pour sa part  : « Je conteste la qualification de certains faits .» Le journaliste Édouard Perrin, répondant notamment comme coauteur des infractions de divulgation de secrets d’affaires des documents soustraits par Raphaël Halet, déclare  : « Je conteste. »

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Les trois prévenus auront l’occasion de s’expliquer plus en détail lors de la suite des débats. Mardi, la 12e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a débuté avec l’audition des témoins. Pas moins de douze témoins sont cités dans ce procès, dont dix à la demande de la défense.

Deltour a copié 45 000 pages en 29 minutes

C’est Anita Bouvy, l’auditrice de PwC chargée de l’enquête interne, qui est entendue en premier. Elle explique comment les salariés de PwC Antoine Deltour et Raphaël Halet ont pu accéder aux documents confidentiels. La direction l’avait chargée d’une première enquête interne le 28 avril 2012. Enquête qui a fini par révéler que le 13 octobre 2010, Antoine Deltour avait accédé à 2 669 documents et les avait copiés en 29 minutes.

Retour sur les origines de cet audit  : le témoin explique que des clients de PwC avaient été contactés par un journaliste anglais pour répondre à des questions concernant la structure fiscale. « En mai 2012, on a eu plus d’informations après l’émission Cash investigation sur France 2 et une autre émission sur BBC1. Le troisième élément à notre disposition était le magazine Private Eye

Un certain nombre de rulings avaient pu y être identifiés. « Aucun doute que les journalistes possédaient les documents confidentiels », déclare l’auditrice. La suite de l’enquête révèle que les documents ont fuité de PwC Luxembourg et non de l’administration fiscale luxembourgeoise.

À la suite de quoi l’accès électronique à ces dossiers est analysé. Dans un premier temps, cinq personnes sont identifiées ayant pu avoir accès aux documents. Mais après des recherches supplémentaires, la conclusion est la suivante  : « Une seule personne, Antoine Deltour, a eu accès à ces données sans pouvoir le justifier par ses fonctions. »

C’est le 13 octobre 2010, la veille de son départ entre 18h48 et 19h17, qu’il a copié les documents. Selon le témoin dans son interview de départ de PwC, Antoine Deltour mentionne une « frustration », car il avait une lourde charge de travail. Des recherches sur internet sur sa personne révèlent qu’il a notamment signé une pétition demandant la fin des paradis fiscaux.

L’auditrice affirme qu’Antoine Deltour a également accédé à des fichiers le 28 avril, le 19 mai et le 14 juin 2010. « On ne sait pas si c’était recherché ou par erreur », précise-t-elle sur demande de Me Philippe Penning. « Un accès ne veut pas dire que les personnes ont consulté les documents », ajoute-t-elle. La défense continue d’interroger le témoin. « Est-ce que les documents étaient faciles d’accès? », demande ainsi Me William Bourdon, l’autre avocat d’Antoine Deltour. « Oui ils étaient faciles d’accès. Ceci dit, il fallait avoir l’intention d’aller dans ce sous-répertoire-là. » À la question de savoir si l’auditeur a volontairement accédé aux documents et les a consultés alors qu’il n’y avait pas accès, l’auditrice répond  : « Il peut y avoir une part accidentelle .»

Me William Boudron, avocat d'Antoine Deltour. (photo AFP)

Me William Bourdon, avocat d’Antoine Deltour. (photo AFP)

Entretemps, PwC a réparé la faille

Une chose est sûre, à l’époque il y avait une faille informatique dans le système de PwC. « Des mesures techniques ont été prises en interne pour renforcer l’inaccessibilité des documents. À l’heure actuelle, ce genre de vol ne peut plus avoir lieu », soulève l’auditrice.

Le deuxième prévenu, Raphaël Halet, est poursuivi pour des faits postérieurs à ceux commis par Antoine Deltour. « Il a volé des documents différents. Ce sont des déclarations fiscales de sociétés clients et des lettres d’accompagnement », note le témoin.

Raphaël Halet a été identifié après la publication de nombreux documents fin novembre  2014 sur le site du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Une perquisition est organisée au domicile de Raphaël Halet. On finit par tomber sur un échange de courriels qu’il a eu avec le journaliste Édouard Perrin. Lors d’une rencontre le 2  décembre  2014, un accord est signé entre PwC et Raphaël Halet. En échange de sa coopération à l’enquête interne et de sa confidentialité, PwC s’engage à ne réclamer qu’un euro d’indemnisation symbolique. « Raphaël Halet a reconnu le vol et la transmission de documents à Édouard Perrin », soulève le témoin. Il aurait assuré qu’il s’agissait de documents relatifs à quatre sociétés bien connues par l’opinion publique française.

Perrin avait libre accès aux documents

En 2011, le collaborateur de PwC avait été intégré dans la cellule «tax process support» qui fait le scanning des déclarations fiscales et les envoie aux clients. Ce qui signifie qu’il avait libre accès à tous les documents qu’il a ensuite transmis au journaliste Édouard Perrin.

Raphaël Halet n’aurait fait fuiter que les déclarations fiscales d’entreprises clientes par le biais d’une messagerie partagée avec Édouard Perrin. L’adresse était centmilledollarsausoleil@gmail.com. Il créait un brouillon dans lequel il mettait en pièce jointe les documents confidentiels. Documents qui étaient ensuite repris par Édouard Perrin.

Edouard Perrin à son arrivée au tribunal de Luxembourg. (photo JC Ernst)

Edouard Perrin à son arrivée au tribunal de Luxembourg. (photo JC Ernst)

Le tribunal souhaite savoir si au moment où il met les documents en pièce jointe, il les sort de PwC. L’auditrice répond ne pas être « experte en informatique ». À la question du tribunal de savoir si PwC a une procédure interne pour les lanceurs d’alerte, elle explique qu’un employé peut se référer à un comité s’il a remarqué une anomalie dans la mission qu’il fait et qu’il ne souhaite pas se référer à son supérieur. Mais à sa connaissance, Antoine Deltour et Raphaël Halet ne l’ont pas fait.

Enfin, la dernière question de Me William Bourdon est de savoir si elle considère que les tax rulings sont constitutifs d’une infraction ou anomalie. La réponse de l’auditrice de PwC  : « Les tax rulings sont quelque chose de tout à fait légal au Luxembourg et dans d’autres pays. »

Le procès se poursuit, ce mercredi après-midi, à 15h, avec l’audition du policier qui a mené l’enquête.

Fabienne Armborst