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Chronique de la rupture radicale


L'écrivain et journaliste américain Ta-Nehisi coates montre qu'en depit des décenniesz de luttes pour les droits civiques, le racisme contre les noirs reste un problème majeur aux Etats-Unis.

L’Américain Ta-Nehisi Coates écrit une lettre à son fils de 15 ans. C’est Une colère noire, un texte qui sent le bitume, l’arme de poing et la violence de la rue et qui explique qu’en Amérique rien n’a changé… Un livre événement.

Un ouvrage né du regain de tensions raciales, qui démontrent que l’on est encore loin de l’Amérique postraciale louée par certains, notamment depuis que Barack Obama est devenu le premier président noir des États-Unis.

Un livre événement. Paru l’an passé outre-Atlantique, chaudement recommandé par Toni Morrison (prix Nobel de littérature 1993), vivement conseillé par Barack Obama «himself», il arrive en version française – c’est Une colère noire. Lettre à mon fils de Ta-Nehisi Coates, né à Baltimore, 40 ans et journaliste politique-société-culture du magazine The Atlantic. Une fois encore, Coates aurait pu rédiger un article au format XXL ou un livre de réflexion sur le racisme aux États-Unis (et ailleurs…); il a opté pour la forme d’une lettre à son fils, Samori, 15 ans.

«Je t’écris dans ta quinzième année. Je t’écris car cette année tu as vu Eric Gardner se faire étrangler et tuer pour avoir vendu des cigarettes; car tu sais désormais que Renisha McBride a été abattue parce qu’elle avait appelé à l’aide, que John Crawford a été tué parce qu’il déambulait dans les rayons d’un grand magasin. Tu as vu des hommes en uniforme assassiner, de leur voiture…»

Une colère noire est présentée comme «le livre phénomène» par l’éditeur français qui rappelle que ce texte a reçu le National Book Award 2015 et a été n° 1 des ventes du New York Times, référence suprême en la matière outre-Atlantique. Certains, comme Toni Morrison, voient dans cette Colère noire un livre dans la grande lignée de La Prochaine Fois, le feu, un texte de l’immense James Baldwin (1924-1987) paru en 1963.

«Pour ta survie, ne t’endors pas»

D’autres, comme Louis-Georges Tin, spécialiste des études littéraires et président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), évoquent un ouvrage qui «sent le bitume, l’arme de poing et la violence de rue». Et Alain Mabanckou, l’écrivain franco-congolais, enseignant aux États-Unis et auteur d’une belle préface, souligne que cette lettre adressée à un fils a «ému une bonne partie de l’Amérique, un pays qui, ces derniers temps, traverse des turbulences sociales marquées par des bavures policières contre les Africains-Américains ou des tragédies à caractère raciste…» Une colère noire est une chronique de la rupture radicale entre Blancs et Noirs aux États-Unis : le livre des droits civiques, aussi. Coates rappelle à son fils que si un Blanc ne se voit pas blanc, un homme noir ne pourra jamais oublier qu’il est noir parce que tout le lui rappelle. Regarder la réalité en face, ne pas se lancer dans de grands discours qui se révèleront vains.

Rappeler l’histoire, les faits historiques et écrire : «En Amérique, détruire le corps d’un Noir est une tradition. C’est un héritage.» Ta-Nehisi Coates a été nourri des mots de Martin Luther King («I have a dream»), de ceux de James Baldwin, de ceux d’Angela Davis qui dénonçait cette société, ce modèle économique passés «des prisons de l’esclavage à l’esclavage des prisons», et aussi des discours de Malcolm X, Stokely Carmichael et des Black Panthers.

Né et vivant à Baltimore, Ta-Nehisi Coates avait en lui ce livre depuis la mort en 2000 de Prince Jones, son ami de la faculté tué par un policier qui l’avait pris pour un autre; il lui a dédié son National Book Award : «Quelqu’un l’a enlevé au monde, comme s’il n’avait été important pour personne. Il n’est pas en mon pouvoir de faire en sorte que ça n’ait pas eu lieu. Mais dire son nom, rappeler qui il a été, ça, oui, je peux le faire.»

Une colère noire, c’est aussi le constat, selon l’auteur, que l’Amérique n’a pas changé, même si on y élit un président noir, commémore l’abolition de l’esclavage ou fait de Billie Holiday, Muhammad Ali ou Beyoncé des figures emblématiques. Alors, le père s’adresse une fois encore à son fils : «Voilà tes racines de Noir : ne t’endors pas, c’est une question de survie.»

Une colère noire. Lettre à mon fils, de Ta-Nehisi Coates. Autrement éditions.

 Serge Bressan

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