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Gëlle Krëmmchen : vive l’auxerrois, il le mérite !


Toutes ces bouteilles ont reçu les Gëlle Krëmmchen (serpettes d’or) de la Confrérie Saint-Cunibert. (photo Confrérie St-Cunibert)

Après le rivaner, la Confrérie Saint-Cunibert a décidé de mettre un coup de projecteur sur le cépage auxerrois. Les Gëlle Krëmmchen (serpettes d’or), un concours à l’aveugle qu’elle organise, viennent de récompenser neuf bouteilles.

Pourquoi un cépage est-il considéré comme chic et l’autre pas? Certes, tous n’ont pas les mêmes aptitudes à produire de grands vins. Aucun amateur sensé n’irait contester le statut de roi des cépages mosellans au riesling. Mais à côté de cette variété couronnée depuis longtemps, on ne peut s’empêcher de penser que la hiérarchisation des cépages n’est pas forcément légitime.

Le rivaner, par exemple, ne produira jamais de crus incroyablement construits, mais offre de magnifiques vins de plaisir que l’on partage sans chichis. Et le plaisir, finalement, c’est bien ce que l’on espère en premier lorsque l’on ouvre une bouteille. Depuis 2018, la Confrérie Saint-Cunibert l’a mis en valeur en organisant un concours à l’aveugle qui récompensait les meilleures bouteilles.

Cette année, la confrérie a décidé de porter son attention sur un autre cépage sous-estimé : l’auxerrois. Considéré comme un vin facile à boire, l’auxerrois souffre d’avoir été cantonné pendant longtemps aux vins d’honneur de toutes les réceptions. Sans grade, il n’était pas question d’en commander au restaurant, où on lui préfère toujours le pinot blanc, le pinot gris ou le riesling.

Les bouteilles étaient anonymisées. Photo : confrérie saint-cunibert

C’est à l’Institut viti-vinicole de Remich que le concours a eu lieu le 11 juin dernier. Vingt-et-un dégustateurs répartis en trois jurys y ont dégusté 54 auxerrois venus de 25 exploitations (1 du millésime 2018, 21 de 2020 dont 3 élevés en fût de chêne, 30 de 2021 dont 1 élevé en fût de chêne et 2 vins de paille de 2014 et 2018). Au final, neuf médailles ont été attribuées (soit 16,6 % de vins récompensés).

Le 9 juillet au Melusina

Alors oui, l’auxerrois est un vin souple, peu acide et qui ne porte pas une personnalité tonitruante. Mais lorsqu’il est bien fait, il est aussi fruité, fin et subtil. Il devient un vrai vin de gastronomie qui a le grand mérite de pouvoir accompagner de nombreux plats (poissons crus et cuits, charcuterie, volaille, fromages…). À dire vrai, il est même bien plus facile à marier que le pourtant très prisé pinot gris, dont la richesse en sucre et en alcool déboulonne pas mal de tentatives d’accords.

Peu côté, l’auxerrois est fatalement bon marché. Sur les neuf bouteilles primées par le concours, sept coûtent moins de 11 euros. Par ordre croissant, on retrouve les caves Desom (7,60 euros à la cave), le domaine Schumacher-Knepper (8,30 euros), le domaine Cep d’Or (9,15 euros), le domaine Clos des Rochers et le domaine Thill (10,37 euros) et, enfin, le plus cher de tous, celui du domaine Henri Ruppert (26 euros). Le vin de paille de Charles Decker, incomparable, entre dans une autre catégorie de prix.

Les consommateurs locaux devraient être fiers de cette variété qui ne pousse pratiquement qu’ici. Certes, on en trouve en Allemagne (de plus en plus), en Lorraine (d’où il est originaire, lire par ailleurs) et un peu en Slovénie, en Nouvelle-Zélande, en Australie, en Afrique du Sud, au Chili ou au Canada. Mais c’est bien au Grand-Duché qu’il tient la plus grande place. Il est planté sur 182 hectares, soit 15 % de la superficie totale, derrière le rivaner (21 %) et le pinot gris (16 %). Non seulement il est vinifié pour lui-même, mais il entre également dans la composition de nombreux crémants.

Et pourtant, malgré toutes ses qualités, le marché de l’auxerrois est un peu terne. «La demande stagne, reconnaît Frank Schumacher qui a obtenu deux récompenses au concours. Chez nous, il reste bien derrière le riesling ou le pinot gris.»
Dans l’espoir d’accroître sa notoriété, la Confrérie Saint-Cunibert organise également une soirée tout à son honneur. Elle aura lieu le samedi 9 juillet au Melusina (Luxembourg). La célèbre boîte de nuit du Grund lui sera totalement consacrée : tous les vins médaillés y seront servis, les barbecues fumeront et la musique ambiancera les participants. Le tout pour 60 euros tout compris (les tickets seront envoyés après un virement sur le compte de la confrérie : LU53 0099 7801 0052 8389). Les organisateurs ont également organisé le transport avec le service Émile des Voyages Émile-Weber. Il suffit d’inscrire le code de l’évènement (4678) et le mot de passe (Uncorked0907) sur le site www.emile.lu pour réserver l’aller-retour au prix de 25 euros par personne. Les retours s’échelonnant entre 00 h 30 et 2 h.

«Je les aime beaucoup !»

Avec trois médailles, le directeur des Caves Bernard-Massard, Antoine Clasen, est le producteur le plus récompensé de ces Gëlle Krëmmchen 2022. Il les a obtenues avec ses auxerrois Clos des Rochers 2020 et 2021 et son auxerrois Château de Schengen du Domaine Thill 2021.

Êtes-vous surpris par ce carton plein obtenu avec les vins de deux de vos domaines ?

Antoine Clasen : Pas tant que ça parce que je dois dire que je les aime beaucoup (il rit)! Je suis vraiment content de voir ces vins mis en avant, ce sont un peu les enfants pauvres. Les gens préfèrent les rieslings et les pinots gris. Pourtant, lors de dégustations à l’aveugle, tout le monde pense qu’il s’agit de vins bien plus chers que ça…

Le Clos des Rochers est votre domaine familial, le fleuron de Bernard-Massard. Quelle place offrez-vous à l’auxerrois, un cépage bien moins côté que les autres ?

Tout d’abord, il pousse sur de chouettes parcelles sur le Fels, à Grevenmacher. Ce sont des vignes très qualitatives, qui poussent juste sous la falaise. Du coup, il est assez précoce (NDLR : la falaise emmagasine la chaleur de la journée pour la restituer la nuit, créant un microclimat plus chaud), mais le sol calcaire permet de garder beaucoup de fraîcheur. Depuis 2021, toutes nos parcelles du Fels sont cultivées en bio et celles-ci aussi, bien sûr. Pour l’anecdote, c’est cette vigne d’auxerrois qui avait été vendangée par le ministre de l’Agriculture et de la Viticulture (NDLR : alors Romain Schneider) en 2021.

Comment appréciez-vous ce cépage ?

J’aime bien lorsqu’il ne contient pas trop de sucres résiduels. L’enjeu est de trouver cet équilibre puisque l’auxerrois n’a pas beaucoup d’acidité. Ce qui est étonnant, c’est que malgré cela, il possède une grande capacité de vieillissement. Il y a deux ou trois années, nous avions fait une verticale dans la cave (NDLR : une dégustation d’un même vin sous plusieurs millésimes) et nous avions été étonnés de constater à quel point il vieillissait bien.

Antoine Clasen, directeur des Caves Bernard-Massard et donc du Clos des Rochers et du Domaine Thill. Photo : yermat

Tous les médaillés

Millésime 2020
Domaine Henri Ruppert (Schengen), Auxerrois Barrique, Coteaux de Schengen
Domaine Clos des Rochers (Grevenmacher), Auxerrois Grevenmacher Fels
Domaine viticole Schumacher-Knepper (Wintrange), Auxerrois Wintrange Felsberg
Millésime 2021
Domaine viticole Cep d’Or (Hëttermillen), Auxerrois Coteaux de Stadtbredimus
Domaine Clos des Rochers (Grevenmacher), Auxerrois Grevenmacher Fels
Domaine Thill (Grevenmacher), Auxerrois Château de Schengen
Domaine viticole Schumacher-Knepper (Wintrange), Auxerrois Wintrange Felsberg
Caves Desom (Remich), Auxerrois Remich Primerberg
Vin de paille
Domaine Charles Decker (Remerschen), Auxerrois 2014, Coteaux de Remerschen

Mal nommé, il vient de Lorraine

Contrairement à ce que son nom laisse entendre, l’auxerrois ne vient pas d’Auxerre mais de la station viticole de Laquenexy, près de Metz. Créée sur sept hectares par les Allemands en 1904, cette station avait pour mission d’aider les vignerons à reconstruire leurs vignobles décimés par le phylloxera en testant la technique qui allait permettre le rebond de la viticulture européenne : le greffage de pieds américains insensibles à la maladie sur des cépages européens.

Au début du XXe siècle, c’est dans ce contexte qu’a été sélectionné l’auxerrois, dont l’analyse génétique a démontré qu’il était issu d’un croisement entre le gouais (une très ancienne variété qui est également à l’origine du chardonnay, de l’aligoté, du melon de bourgogne…) et le pinot.

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la station viticole de Laquenexy s’est plutôt orientée vers l’arboriculture et la fraisiculture dans le but de sélectionner les variétés les plus adaptées au climat et à la géologie de la région. Cette institution est toujours très active aujourd’hui puisque les Jardins fruitiers de Laquenexy ont été labellisés Collection nationale de référence par le Conservatoire des collections végétales (notamment pour les poiriers et les framboisiers), mais aussi Jardin remarquable par le ministère de la Culture français.